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Découper l'espace politique

Réduire le nombre de députés en France métropolitaine. Quel mode d’affectation, pour quelle représentation nationale ?

Decreasing the number of Members of Parliament in continental France. Which allocation method, leading to which national representation?
Cyrille Genre-Grandpierre, Guillaume Marrel et Mathieu Coulon

Résumés

L’objectif de l’article est d’explorer les implications possibles en termes de représentation nationale du projet de réforme constitutionnelle de 2018 de l’Assemblée Nationale, qui consiste notamment à diminuer de 30% le nombre de parlementaires. Après avoir montré, à l’aide d’analyses géomatiques, que le découpage des circonscriptions actuelles produit d’importantes inégalités de représentation des populations et territoires, nous simulons à titre heuristique les effets de différentes méthodes de répartition d’un nombre réduit de députés dans le territoire métropolitain français. L’objectif est de montrer que cette diminution n’est pas qu’un simple problème arithmétique, mais qu’elle touche aux relations historiques complexes entre démographie et démocratie et qu’elle invite de ce fait immanquablement à s’interroger sur la notion même de représentation. Les simulations réalisées montrent qu’il est très difficile de tendre vers une représentation équitable des populations et territoires si les règles actuelles de la démocratie représentative sont préservées. Elles invitent en conséquence à un certain renouvellement de ces règles pour une plus grande souplesse d’allocation des députés, en particulier le passage d’une allocation de l’échelle départementale à l’échelle régionale, dans la perspective d’une limitation des inégalités dans la représentation des populations. L’article conclut sur la nécessaire prise en compte des transformations actuelles des modes de vie et de la participation politique, pour questionner ce qu’est la représentation, en particulier dans la perspective du découpage concret des circonscriptions à l'intérieur des régions.

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Texte intégral

  • 1 Depuis le dernier découpage de 2010, on recense 577 sièges dont 535 pour la France métropolitaine C (...)

1La Loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 a fixé à 577 le plafond du nombre des députés de France1 et à 348 celui des sénateurs. En 2017, le candidat Emmanuel Macron a introduit dans son programme présidentiel “le projet d’une réduction du nombre des parlementaires d’environ 30%”. Le projet de loi organique pour une “démocratie plus représentative, responsable et efficace”, présenté à l’Assemblée nationale le 23 mai 2018, propose de réduire à 404 le nombre de députés et, proportionnellement, à 244 celui des sénateurs. La réduction devrait prendre effet au prochain renouvellement général de l’Assemblée nationale en 2022, mais reste suspendue aux aléas de la conjoncture politique.

  • 2 L'argumentation dont la presse nationale se fait échos oppose d’une part et du côté des partisans d (...)

2Cet article ne consiste pas à s’interroger sur le bien-fondé de cette diminution potentielle du nombre de députés (cf. Kerléo, 2017)2, mais à explorer ses implications potentielles en termes de représentation selon différents scenarii de répartition des élus, sachant que la méthode d’affectation des futurs 404 députés n’est pour l’heure pas fixée. En effet, derrière son apparente simplicité arithmétique, le projet de réduction de l’effectif des députés conduit à toucher aux relations historiques complexes entre démographie et démocratie, dans un système politique où la représentation nationale est en principe, depuis 1792, fondée sur la seule population (Aberdam, 2004). Il s’agit donc de relocaliser un nombre significativement réduit de députés avec différentes méthodes et d’étudier leurs impacts sur le principe d’égalité devant le suffrage (« un homme, une voix », Avril, 2007) et sur la représentation des territoires, même si celle-ci ne constitue pas une obligation légale. La variété des résultats des simulations réalisées pour allouer dans le territoire national un nombre réduit de députés conduit in fine immanquablement à s’interroger sur la notion même de représentation.

3Ce travail d’exploration du lien entre la méthode d’allocation des députés et la qualité de la représentation des populations et territoires n’est donc pas un travail de “gerrymandering”, qui consiste à travailler sur la base de l’existant la forme des découpages électoraux de façon partisane pour donner l’avantage, le plus souvent sur la base de résultats d’élections passées, à un parti ou un candidat (le cas du redécoupage électoral du Tarn décrit par Gérard Buono pour les Cafés géographiques en donne une très belle illustration, Buono, 2018). Notre objectif n’est donc pas de définir concrètement de nouvelles circonscriptions électorales, mais bien de réfléchir aux logiques mêmes d’allocation des députés et à leurs effets sur la représentation, comme l’esquissé Michel-Louis Lévy en 1986 lors de l’augmentation du nombre de députés de 491 à 577 (Lévy, 1986)

  • 3 La proposition du président du Sénat de novembre 2018 de limiter la réduction à 22% (450 députés et (...)

4Nous limitons par ailleurs notre analyse à l’examen de la seule hypothèse initiale de réduction de 30% des sièges à l’Assemblée nationale, pour la France métropolitaine sans la Corse qui devrait faire l’objet d’une réforme spécifique, sans tenir compte d’une possible modification du mode de scrutin3, même si il est évident que nombre de représentants, le découpage et les modes de scrutin sont tous trois importants pour aborder la question de la représentation (Gaudillière, Lévy, 2003, Bussi, 2007) . Ainsi, concrètement sont explorés les tenants et aboutissants de différentes modalités de répartition des 375 députés métropolitains (contre 531 actuellement) qui seraient élus au scrutin uninominal de circonscription.

5Dans un premier temps, nous analysons la répartition actuelle des députés de France métropolitaine afin de voir dans quelle mesure elle assure une représentation équitable des populations et des territoires, ou si la France des députés est une « France archaïque et inégalitaire » (Fumey, 2007). Dans un deuxième temps sont simulés les effets sur la représentation de différentes options, parfois volontairement un peu simplistes, de répartition des futurs 375 députés dans l’espace métropolitain. L’idée est ici d’illustrer le fait qu’il est illusoire de penser pouvoir se contenter de solutions simples, a priori évidentes. La variété des résultats en termes de qualité de représentation amène à la conviction qu’une méthode optimale d’allocation n’existe pas dans l’absolu. Choisir une méthode d’allocation d’un nombre réduit de députés oblige en effet à s’interroger sur la notion même de représentation politique, et conséquemment dans un second temps sur l’éventuel rôle que peuvent jouer les découpages électoraux sur des (re)constructions identitaires locales, notamment dans le contexte de transformations actuelles des modes de vie où la mobilité à toutes les échelles joue un rôle très important (Agnew, 1987, 1996).

Une représentation actuellement inégalitaire des populations et des territoires

6Fruit de douze découpages successifs depuis 1789, les circonscriptions actuelles associent le plus souvent plusieurs communes. Elles doivent légalement respecter les frontières départementales et, dans la mesure du possible, les limites cantonales. Le dernier découpage électoral de la représentation nationale est réalisé en 2010 sous l’autorité d’Alain Marleix, le secrétaire d'État à l'Intérieur et aux Collectivités Territoriales du gouvernement Fillon. Il est fondé sur trois principes : le maintien du nombre de députés à 577, l’égalité démographique entre les populations des départements, des collectivités d’outre-mer et des Français de l’étranger (sur la base des recensements de 2004 et 2008) et la continuité territoriale des circonscriptions. La “tradition” du minimum de deux députés par département disparaît : en métropole, la Creuse et la Lozère n’ont plus qu’un seul siège. Ce redécoupage donne lieu à la modification de 306 circonscriptions et à la suppression ou création de 33 nouvelles unités électorales. Il est analysé ci-dessous à différents niveaux d’échelle afin de vérifier s’il assure effectivement le principe d’égalité démographique et une bonne représentation des différents types de territoires, notamment ruraux et urbains.

Quelle égalité devant le suffrage ?

7Le principe d’égalité devant le suffrage « un homme, une voix » correspond au fait que chaque député devrait être élu sur un territoire comptant une part équivalente de la population nationale. Toutefois, après avoir rappelé ces bases “essentiellement démographiques” du découpage des circonscriptions, le Conseil Constitutionnel précise en 1986 que “le législateur peut tenir compte d’impératifs d’intérêt général susceptibles d’atténuer la portée de cette règle fondamentale” - sans d’ailleurs les définir précisément -, mais « qu’il ne saurait le faire que dans une mesure limitée”, en faisant en sorte “qu’à l’intérieur d’un même département la population d’une circonscription s’écarte au maximum de 20 % de la population moyenne des circonscriptions de ce département”. Qu’en est-il du respect de cette règle aujourd’hui et par conséquent de l’égalité en termes de représentation démographique ?

L’inégale représentation démographique à l’échelle des circonscriptions

8À l’échelle nationale, l’étude des 531 circonscriptions métropolitaines, sans la Corse, montre qu’un député représente en moyenne 121 168 personnes. L’amplitude est toutefois très importante avec un minimum de 66 203 et un maximum de 155 447 individus. Ainsi, les habitants de certaines circonscriptions sont-ils “mieux représentés”, puisqu’ils sont 2,34 fois moins nombreux à élire leur député. Toutefois, ces valeurs extrêmes ne concernent qu’un nombre relativement restreint de sièges puisque 92 % des circonscriptions ont une population située dans la fourchette correspondant à la moyenne métropolitaine plus ou moins 20 %. Les 8 % restant sont pour les 2/3 de petites circonscriptions localisées dans 17 départements, particulièrement dans les Hautes-Alpes, les Alpes-de-Haute-Provence, l’Ariège, le Cantal, le Lot et le Territoire de Belfort où toutes les circonscriptions sont en dessous de la limite de la moyenne moins 20 %. À l’inverse, les 16 circonscriptions aux populations dépassant la moyenne plus 20 % sont localisées dans 11 départements, parmi lesquels se démarquent la Loire-Atlantique, qui a 4 circonscriptions sur 10 très fortement peuplées, puis les Landes et la Loire. La population des circonscriptions apparaît donc très variable, avec logiquement des circonscriptions à faible population dans les départements ”ruraux”, qui peuvent apparaître de ce fait comme “sur-représentées”. À l’échelle infradépartementale, celle à laquelle la loi fait référence, la marge de 20% est presque toujours respectée, à l’exception de deux circonscriptions dans les départements de la Loire et de l’Essonne.

9Ainsi, en toute rigueur, le principe d’égalité démographique devant le suffrage n’est pas toujours vérifié, surtout si on compare les circonscriptions à l’échelle nationale. Cependant, les écarts restent contenus, en considérant comme acceptables des différences de plus ou moins 20 % par rapport à la moyenne nationale ou départementale. Ces écarts sont, d’une certaine manière, justifiés dans la loi qui évoque, sans les définir précisément, des « motifs d’intérêt général », tels que le respect des limites cantonales, les « réalités naturelles » ou les « solidarités », qui font plus ou moins explicitement référence à l’histoire économique, sociale et culturelle des espaces locaux. Ces écarts relèvent également d’arbitrages politiques plus stratégiques. Le flou entourant les « motifs d’intérêt général » laisse donc une certaine marge de manœuvre dans la définition des circonscriptions et explique les inégaliés de représentation démographique.

10Même si la loi n’y fait plus référence, il paraît néanmoins intéressant de mesurer, parallèlement à la représentation de la population, celle des électeurs inscrits sur les listes électorales pour voir dans quelle mesure la représentation des 35 millions d’électeurs inscrits constitutifs du corps électoral en métropole diffère de celle de la population dans son ensemble.

Quelle représentation des inscrits ?

11En 2010, le Conseil Constitutionnel a supprimé les références au nombre d’électeurs inscrits sur les listes électorales au profit “des bases essentiellement démographiques” évoquées précédemment. Il reprend ici une vieille tradition républicaine de 1793 selon laquelle “la population est la seule base de la représentation nationale”. Les élus représentent non seulement la nation, mais aussi le peuple, compris comme la population (Avril, 2007). Les électeurs inscrits sont eux-mêmes considérés comme des “représentants” parmi la population dans son ensemble, en ce qu’ils représentent ceux qui n’ont pas le droit de vote : les femmes jusqu’en 1944, les mineurs, les incapables et les étrangers. Les calculs effectués pour la population et les inscrits soulignent combien la représentation des électeurs inscrits diffère de celle de la population dans son ensemble.

12En effet, en utilisant la même la fourchette que pour la population, la moyenne plus ou moins 20 %, la variabilité du nombre d’inscrits dans les circonscriptions métropolitaines apparaît plus importante que celle observée pour la population totale, puisque 20% (107) d’entre elles ont un nombre d’inscrits dépassant cette marge (contre 8 % pour la population), 13 % étant au-dessus de la limite supérieure et 7 % en dessous de la limite inférieure. Au regard du nombre d’inscrits, les inégalités de représentation concernent donc davantage des situations de sous-représentation (un député représente “trop” d’inscrits) que de sur-représentation. À l’échelle infradépartementale, toujours pour la même fourchette, 37 circonscriptions s’avèrent hors normes : 20 sont en dessous de la borne inférieure et 17 au-dessus de la borne supérieure.

13Ainsi, à l’échelle nationale, l’égalité dans la représentation est encore plus problématique si l’on considère les inscrits plutôt que la population totale. Cette dernière est loin de correspondre aux inscrits à un coefficient multiplicateur près. A titre d’illustration statistique, la corrélation (qui exprime la dépendance entre deux variables) entre la population totale et le nombre d’inscrits à l’échelle des circonscriptions est faible, puisque la population totale n’explique que 48% de la valeur du corps électoral (carte 1). De plus cette corrélation varie fortement localement.

Carte 1 - Relation entre populations résidentes et inscrites

Carte 1 - Relation entre populations résidentes et inscrites

14Ce “découplage” entre population totale et inscrits traduit les différences dans la composition des populations locales qui impactent le nombre d’inscrits (part des 0-18 ans, proportion d’étrangers), ainsi que des différences dans les comportements locaux en termes d’inscription (non inscription, “mal inscription”, Braconnier, Dormagen 2007, “vote des originaires”, Bargel 2016, qui amènent des individus à voter dans la circonscription de leur ancien domicile lorsqu’ils ont déménagé, dans la commune de leur résidence secondaire, ou encore dans leur commune d’origine pour ceux qui changent fréquemment de domicile). Même s’il n’apparait pas de structures spatiales très nettes pour ce découplage population totale - inscrits, on notera néanmoins, sans analyser la carte des résidus en détail, que les circonscriptions dans lesquelles le corps électoral est moins important que ce que laisserait supposer la population totale sont plutôt des circonscriptions peu peuplées. Si la représentation démographique (et des inscrits) est variable à l’échelle des circonscriptions, elle l’est également aux échelles départementale et régionale.

Les disparités de représentation démographique à l’échelle des départements et des régions

15Le nombre de députés par département varie logiquement très fortement de 1 à 21. Dans un pays principalement rural où la densité de population est relativement faible en moyenne, on compte le plus souvent 2 ou 3 députés par département (respectivement dans 17 et 19 % des départements). L'analyse du ratio entre la part de chaque département dans le nombre de députés et sa part dans la population nationale montre que les départements avec peu de sièges (jusqu’à 7) sont “surdotés” (ratio allant jusqu’à 1,17 pour les départements ne comptant qu’un seul député). À l’inverse, ceux qui ont plus de 9 sièges sont sous-dotés, avec un ratio allant jusqu’à 0,93 pour les départements à 14 députés. Les petits départements, les plus « ruraux », apparaissent donc sur-représentés au prorata de leur population, comme cela a déjà été démontré (Balinski, 2005). La même analyse pour les inscrits fournit une image plus contrastée, les sous et sur représentations se trouvant dans toutes les catégories de département. À l’échelle des nouvelles régions, au regard d’une proportionnalité pure entre population et députés, les différences de représentation sont plus faibles, même si les régions Bourgogne Franche-Comté, Centre-Val de Loire et Grand-Est apparaissent sensiblement sur-représentées, à l’inverse de l’Ile de France et de la Bretagne.

16Cette première série d’analyses montre donc que l’égalité théorique devant le suffrage n’est aujourd’hui pas strictement respectée et ce d’autant plus que l’on considère des échelles fines d’analyse. La tolérance à l’égard de cette imparfaite égalité de la population devant le suffrage repose sur les « impératifs d’intérêt général », mentionnés sans être précisés dans la loi, mais dont une part vise à assurer un autre type de représentation : celle des territoires. Il s’agit d’éviter que les territoires les moins peuplés aient trop peu de représentants. Dans la partie suivante sera donc étudiée la qualité de cette représentation des territoires, en particulier en distinguant territoires ruraux et urbains.

Quelle représentation des territoires ?

17La décision constitutionnelle du 2 juillet 1986 précisait que la règle d’au moins deux députés par département visait à assurer « un lien étroit entre l’élu d’une circonscription et les électeurs ». En 2010, le nombre minimum de députés par département est tombé à un, mais le législateur a maintenu ce compromis entre la population et l'espace, cherchant à garantir une meilleure représentation des territoires. Celle-ci a également été recherchée à travers la prise en compte des « réalités naturelles ou géographiques », qui peuvent isoler ou éloigner des électeurs de leur député, ou encore des « solidarités territoriales particulières », qui font référence à une histoire commune. Afin, d’analyser dans quelle mesure cet objectif d’une certaine représentation des territoires a été atteint, nous avons tout d’abord simplement comparé la surface des circonscriptions actuelles.

18La plus étendue correspond au département de la Creuse (5 589 km²), alors que la plus petite – la 18 ème circonscription de Paris – fait à peine 3 km², soit 1 859 fois moins. La médiane des surfaces est de 716,5 km² et les circonscriptions de petite taille sont nombreuses. Ces différences criantes de surface des circonscriptions confirment, si besoin était, que les députés ne représentent en aucune façon des portions équivalentes de territoire. Mais, au-delà de la simple surface, représentent-ils des types de territoires particuliers, notamment au regard de leur degré d’urbanité, et ce au prorata de leur population ? En d’autres termes existent-ils des députés “ruraux”, “urbains” ou “périurbains” et dans quelles proportions ? Incidemment, l’idée est aussi de vérifier l’affirmation communément admise (et reprise en 1.1) de la sur-représentation du monde rural à l’Assemblée, mais en utilisant d’autres échelles d’analyse que celle, communément mobilisée, du département.

19Dans cette perspective, les circonscriptions ont été catégorisées en fonction du type de communes qui les composent, en s’appuyant sur la typologie de l’INSEE qui les distingue selon leur caractère urbain et leur degré de polarisation (Tableau 1). Sur cette base, nous comparons ensuite le nombre réel de députés par type de circonscription avec un nombre théorique calculé au prorata des populations présentent dans chaque type. Les résultats montrent tout d’abord que 124 circonscriptions seulement sont composées d’un seul type de communes, urbain en l’occurrence. Une catégorisation simple des députés s’avère donc impossible. Affirmer qu’un député est “rural ou urbain” ne constitue donc qu’un abus de langage.

20Aussi, en guise d’alternative, nous calculons pour chaque type de communes le nombre de circonscriptions où elles sont présentes. Par exemple, les communes isolées apparaissent dans 239 circonscriptions (45 % du total). Nous considérons alors, à titre heuristique, que ces communes isolées sont effectivement représentées par 239 députés (une même circonscription peut donc représenter différents types de communes). Ce chiffre est enfin divisé par le nombre théorique de députés qu’aurait chaque type de commune si elles avaient un nombre de représentants correspondant à leur part dans la population métropolitaine. Plus ce ratio (R) est important, meilleure est leur représentation.

Tableau 1 - Classement des circonscriptions selon la typologie des communes (2010) en Métropole hors Corse

 

Nombre

de communes

Part dans la population totale métropolitaine

Nombre de circonscriptions calculées au prorata de la population

Nombre de circonscriptions ayant une commune au moins du type considéré - % du total des circonscriptions métropolitaines

R : degré de représentation du type de commune

Commune appartenant à un grand pôle

3238

58

310

494

92%

1,59

Commune appartenant à la couronne d'un grand pôle

12 156

19

103

403

75%

3,9

Commune multipolarisée dans des grandes aires urbaines

3964

5

29

301

56%

10,55

Commune appartenant à un moyen pôle

436

3

15

113

21%

7,53

Commune appartenant à la couronne d'un moyen pôle

799

1

3

86

16%

27,36

Commune appartenant à un petit pôle

849

4

20

213

40%

10,89

Commune appartenant à la couronne d'un petit pôle

557

1

1

97

18%

18,13

Autre commune multipolarisée

6962

5

29

273

51%

9,34

Commune isolée hors influence des pôles

7215

5

24

239

45%

9,82

Sources : Ministère de l’Intérieur (20/06/2017) & INSEE (« Bases des aires urbaines 2010 »)

21Cette méthode est relativement “grossière”, puisqu'elle revient par exemple à considérer qu’un député qui compterait dans sa circonscription une seule commune isolée représente le monde rural même si le reste de sa circonscription est totalement urbaine, ce qui n’est toutefois théoriquement pas faux. Si on accepte cette typologie fruste, on peut voir que les communes des couronnes des pôles moyens et des petits pôles sont les mieux représentées. Le rural isolé l’est aussi, mais dans une moindre mesure et au même titre que les communes multipolarisées des grandes aires urbaines par exemple.

  • 4 Base des unités urbaines 2010 de l’INSEE

22Pour aborder la représentation des types de territoire sous un autre angle, moins tributaire d’une catégorisation fonctionnelle des communes faite a priori, nous avons construit une typologie résolument différente des circonscriptions en la basant sur une classification de l’INSEE simplifiée des communes en deux types “urbain” et “rural”4 . Toutes les communes contigües du même type sont fusionnées. Le résultat à l’échelle nationale consiste en une vaste tache du monde rural, “mouchetée” par les zones urbaines. Nous identifions ensuite combien de circonscriptions actuelles ont 25, 50, ou plus de 75 % de leur population située dans cette « tache rurale » (en utilisant les données de l’INSEE donnant la population dans des carrés de 200 mètres de côté). La même opération, avec les mêmes seuils, est aussi réalisée avec la surface des circonscriptions.

23En considérant comme rurale une circonscription qui a plus de 50 % de sa population dans la tache rurale, 85 circonscriptions peuvent alors être qualifiées de rurales. Ce chiffre monte à 152 si on considère la surface des circonscriptions. Sachant qu’au prorata de sa population (14,4 millions d’habitants pour 27 432 communes classées rurales dans cette typologie binaire de l’INSEE), le monde rural devrait avoir 120 députés, et au prorata de sa surface (75 % du territoire), il pourrait en avoir 401, on peut conclure que le milieu rural, tel que nous l’avons défini, est sous-doté en députés au regard de sa population, et bien plus encore de sa surface. Cette analyse nuance donc fortement les conclusions de nombreuses études qui classent très grossièrement des départements entiers comme ruraux vs urbains pour affirmer par exemple que « les 25 départements les moins peuplés sont (en 2005) dotés d’un député pour 79 043 habitants, tandis que les 25 les plus peuplés n’en ont qu’un pour 112 123 habitants : c’est-à-dire qu’à l’Assemblée les voix de 10 habitants ruraux équivalent à plus de 14 voix d’habitants urbains » (Balinski, 2005).

24Pour apporter un dernier point de vue basé sur la polarisation par les seules grandes villes, nous avons réalisé une dernière série d’analyses en distinguant l’espace des “métropoles” du reste du territoire. Les « métropoles » sont définies très simplement comme toutes les communes de plus de 100 000 habitants en 2014. Puis nous calculons le nombre de circonscriptions dont plus de 50 % de la population est située à 25, 50 ou 75 kilomètres d’une métropole. On trouve ainsi que 468 circonscriptions ont plus de 50 % de leur population à moins de 75 kilomètres d’une métropole, 385 à moins de 50 kilomètres et 270 à moins de 25 kilomètres. Sachant, que le monde « rural » devrait avoir 120 députés au prorata de sa population (sur la base de la distinction urbain-rural de l’INSEE utilisée plus haut), alors on peut conclure qu’il n’est sur-représenté qu’à condition de considérer comme métropolitaines, toutes les circonscriptions dont plus de 50 % de la population est située à moins de 50 kilomètres d’une ville de plus de 100000 habitants, ce qui constitue à n’en pas douter une vision très élargie de ce qu’est le métropolitain en France. Une “juste représentation” (120 députés pour l’espace hors métropoles, i.e. le monde « rural ») est obtenue lorsque l’on considère comme urbaines toutes les circonscriptions dont 50 % de la population est à moins de 57 km d’une métropole.

25Ces analyses sur la représentation des différents types de territoires, qui pourraient être multipliées en mobilisant d’autres catégorisations, montrent essentiellement que, si on souhaite dépasser la caricature, il est difficile de qualifier de façon simple les circonscriptions en termes de type de territoire. Une même circonscription peut tout aussi bien être qualifiée d’urbaine ou de rurale selon des définitions qui sont toujours « orientées ». On rejoint ici les travaux qui montrent comment la construction de catégories trop simplistes, comme urbain- périurbain-rural, pour expliquer les votes (notamment des extrêmes) est plus que discutables (Rippol et Rivière, 2007, Batardi et al., 2017)

26Toutefois, quelles que soient les typologies utilisées, on peut néanmoins conclure que les circonscriptions actuelles n’assurent pas plus une bonne représentation des territoires qu’elles n’assurent une bonne représentation démographique.

27Face à ces inégalités de représentation des populations et des territoires (connues, mais rarement chiffrées), il est possible d’envisager la réforme visant à réduire le nombre de députés de 577 à 408 comme une opportunité de redéfinir les circonscriptions, et donc la représentation, sur de nouveaux principes permettant de tendre vers plus d’égalité. En maintenant le principe de l’égalité devant le suffrage, on pourrait de prime abord penser qu’il « suffit » de répartir les députés dans l’espace national en découpant les circonscriptions de façon à ce qu’elles comportent le même nombre d’habitants. Simple a priori, cette solution conduirait bien évidemment à d’énormes différences de surface de circonscriptions et donc poserait alors un problème de représentation des territoires. On pourrait aussi imaginer comme le liste Michel Bussi (1998) dans un paragraphe intitulé « à la recherche du découpage idéal » que le découpage le plus juste soit celui dont les frontières représentent des réalités sociales connues des occupants de ce territoire. Le découpage pertinent serait alors celui auquel les habitants s'identifient, ayant une épaisseur historique ou politique et qui serait ainsi un garant d'unité. Le problème tient ici notamment au fait que la définition de ces espaces vécus est elle-même discutable, qu’elle peut renvoyer à des représentations inconscientes, et qu’elle semble peu adaptable à l’échelle relativement vaste des circonscriptions des députés. On peut encore considérer que le découpage le plus pertinent sera celui qui permettra la plus grande homogénéité statistique permettant ainsi de représenter des catégories distinctes de populations. Un tel découpage ne serait toutefois assurément non cohérent géographiquement en ayant notamment des formes, des surfaces et des populations très variables et il serait nécessairement très variable dans le temps eu égard aux dynamiques démographiques. On le voit, choisir une méthode d’allocation d’un nombre réduit de députés, en respectant un jeu de contraintes réglementaires ou que l’on se donne (représentation des territoires, un député par département, etc.), n’est donc pas une opération simple comme on pourrait le croire de prime abord et ce choix impacte inévitablement l’égalité devant le suffrage, comme va l’illustrer la partie suivante.

Comment allouer un nombre réduit de députés dans l’espace national ?

28Dans le contexte du projet de loi qui vise à réduire d’un tiers le nombre de députés, nous simulons la distribution des 375 députés de la France métropolitaine selon différentes clés de répartition, en tenant compte ou non des découpages départementaux et régionaux existants.

Répartir les députés dans un espace national considéré comme un tout. Quelles implications sur l’égalité devant le suffrage ?

29Pour répartir les 375 députés de France métropolitaine, une première option théorique, simple et radicale, qui est celle à laquelle on pourrait penser d’emblée, consiste à se baser uniquement sur la démographie en s’assurant que chaque député représente strictement la même quantité de population, à savoir 172 865 habitants, sans tenir compte d’aucune maille politico-administrative. Cette solution, théoriquement recevable et qui peut de prime abord s’apparenter à un idéal même si aucun découpage n’est innocent (Gaudillière, Lévy, 2003), conduirait à des circonscriptions de dimension extrêmement variable de quelques kilomètres carrés à plus d’un département pour les zones les moins densément peuplées (Lozère, Creuse, etc.). Elle assurerait donc très mal la représentation des territoires, qui n’est pas une obligation légale, mais qui existe de fait. A l’inverse, si chacun des 375 députés était supposé représenter la même portion du territoire français (1 691 km²), nous obtiendrions des circonscriptions de 189 000 habitants en moyenne (médiane 98 000), mais avec un maximum atteignant 4 951 000 habitants. En faisant « voter les kilomètres carrés plutôt que les habitants » (Gaudillière, Lévy, 2003), l’égalité démographique devant le suffrage serait alors encore moins bien assurée qu’elle ne l’est actuellement.

  • 5 Les calculs sont réalisés à l’aide d’outils SIG et se basent, pour des conditions de circulations f (...)

30Une solution de “compromis” pourrait consister à garantir à chaque citoyen un niveau donné d’accessibilité à « son » député. Un élu pourrait devoir être accessible physiquement pour ses électeurs et pouvoir lui-même accéder en un temps donné à n’importe quel endroit de sa circonscription. Pour des raisons techniques de disponibilité de données, les simulations réalisées pour tester ce mode d’allocation ont été faites à titre d’exemple sur le seul territoire de la région SUD-PACA, mais pourraient être extrapolées à l’ensemble de la métropole5 . Tout d’abord, si nous postulons que chaque habitant de SUD-PACA doit être à moins d’une heure en voiture de son député, alors 5 circonscriptions suffisent, mais l’égalité démographique n’est plus respectée avec des populations de circonscription variant de 129 000 à 352 000 habitants. Si à présent, nous attribuons à SUD-PACA les 29 députés qui lui reviennent après réduction (contre les 42 actuellement élus), en postulant que chaque député français doit représenter la même quantité de population (soit 172 865 habitants) et que nous les localisons de façon à minimiser la somme des distances parcourues par la population pour les joindre en fixant un temps maximum à une heure, alors les 29 circonscriptions obtenues présentent des surfaces qui varient de 1 à 17. Les plus grandes se trouvent logiquement dans les milieux montagneux les moins denses. Enfin, si nous cherchons à maximiser la part de la population à moins d’une heure d’un député, mais en limitant la taille des circonscriptions à 172 865 habitants, nous obtenons des variations réduites de population (de 1 à 5), mais 750 000 habitants, soit 15% de la population régionale, se trouvent alors à plus d’une heure d’un député.

31On le voit, intégrer la question de l’accessibilité physique des populations aux sièges des députés tout en bornant la population maximale des circonscriptions peut paraître une solution raisonnable, même si les surfaces des circonscriptions varient alors beaucoup. Cette variation de surface (1 à 17 en SUD-PACA) reste toutefois beaucoup moins forte que celle observée dans le découpage actuel (variation de 1 à 1 777 en France métropolitaine et de 1 à 722 en SUD-PACA). Tenable en pratique, cette solution instaure néanmoins incidemment une logique forte de représentation des intérêts territoriaux, liant le député et ses électeurs, potentiellement au détriment de la représentation nationale de l’intérêt général associée au principe du mandat représentatif (Manin 2012). Aussi, si l’accessibilité devait être un critère d’allocation des représentants, elle ne devrait en principe se justifier que par les nécessités pratiques de la campagne électorale (il faut pouvoir pratiquement faire campagne sur le terrain) et non par l’égale possibilité pour tous les habitants de la circonscription de solliciter le député pour tel ou tel service et, le cas échéant, de monnayer son vote et celui de ses proches (Mattina, 2016).

Des méthodes de répartition tenant compte des découpages existants

32Pour les méthodes précédentes, la France a été envisagée comme un tout indivisible dans lequel les députés sont affectés à des surfaces et/ou des populations. Or, la France est aussi un ensemble historique de départements et de régions. Faire fi de ces découpages d’administration et de gestion dans l’affectation des députés est théoriquement possible (les députés représentant la nation et pas des territoires), mais peu probable et réaliste eu égard à l’histoire, aux intérêts locaux et aux règles actuelles. Celles-ci intègrent en effet explicitement le découpage départemental, d’une part en limitant la variation de la taille des circonscriptions dans une fourchette correspondant à la moyenne départementale plus ou moins 20 %, d’autre part en fixant un nombre minimum de députés par département (d’abord deux puis un depuis 2010). Ainsi, une deuxième série de simulations a consisté à prendre en compte ces découpages départementaux et régionaux dans la distribution des 375 nouveaux députés, en étant bien conscient que cela revient à limiter les marges de manoeuvre pour leur redistribution.

33A l’échelle départementale tout d’abord, la ventilation des députés proportionnellement à la population des départements conduit à n’affecter aucun représentant à cinq départements (04 ; 09 ; 15 ; 48 ; 90). Aussi, une première option a été d’utiliser la méthode dite “des plus forts restes” (PFR). Elle consiste d’abord à calculer combien un député doit en moyenne représenter d’habitants, en divisant la population française métropolitaine hors Corse par 375 individus, soit 172 865 habitants. Puis sur cette base, les députés sont affectés par département au prorata de leur population : la population du département divisée par 172 865 donne le nombre entier de députés à allouer. Les « restes » sont ensuite classés par ordre décroissant en attribuant les derniers députés aux plus forts restes. Une variante de cette méthode, nommée PFR-Dep, consiste à affecter d’emblée un député par département (soit 94), puis le reste (281) au prorata de la population des départements comme précédemment. Nous affectons ainsi ici un député par tranche de 230 693 habitants (population française / 281) en ne retenant que la valeur entière et les derniers sièges aux plus forts restes.

  • 6 Contrairement à la méthode des plus forts restes, la méthode de Sainte-Laguë ne recourt pas un à qu (...)

34Ces méthodes ordinales (PFR et PFR-Dep) conduisent à des distorsions entre départements disposants de “restes” très proches, certains recevant un siège supplémentaire et d’autres non. Pour limiter ces problèmes d’arrondis, nous avons réalisé une dernière série de simulations à partir d’une méthode de plus forte moyenne : la méthode dite de Sainte-Lagüe (StL)6, dont les résultats sont réputés les plus proches possible de la répartition obtenue en affectant les députés uniquement au prorata des populations (Balinski 2005). Cette méthode a été utilisée dans deux versions : l’originale (StL) et celle qui consiste à affecter un député par département, puis à utiliser la méthode de Sainte-Lagüe seulement pour les 281 députés restant à affecter (StL-Dep). Les deux versions ont été utilisées aux échelles des départements et des régions. Pour chacune, nous avons enfin calculé un indice, nommé REP, de “sur/sous-représentation” par département et par région. Il consiste à calculer le pourcentage que représente la population par député par département (ou par région) par rapport à la moyenne nationale :

35REP = [(population départementale / nombre députés du département) / (population nationale / nombre députés total)]*100

36Plus ce pourcentage est fort, plus la méthode utilisée tend à “défavoriser” l’unité spatiale en lui allouant peu de députés au regard de sa population. Une valeur de 100 indique que l’unité spatiale est exactement dans la moyenne nationale. La carte 2 de l’indice REP pour la répartition actuelle des 531 députés métropolitains, montre la forte variation de cet indice et constitue une autre illustration des variations actuelles dans la représentation des populations.

Carte 2 - Sur et sous-représentation des populations départementales à l’Assemblée au travers de l’indice REP

Carte 2 - Sur et sous-représentation des populations départementales à l’Assemblée au travers de l’indice REP

37Il serait trop fastidieux de commenter les résultats de toutes les méthodes aux différentes échelles en pointant à chaque fois les départements ou régions qui ont le plus à perdre eu égard à leur situation actuelle. Aussi nous contenterons-nous ici des commentaires ayant la plus grande portée générale. Il apparaît en premier lieu (tableau 3) qu’aucune des méthodes utilisées ne permet une parfaite égalité devant le suffrage, notamment parce qu’existent toujours d’importants effets de seuils : le passage de 1 à 2 députés par exemple se joue souvent à très peu de choses. À l’échelle départementale, les méthodes StL s’avèrent bien plus équitables que celles des plus forts restes pour tendre vers la représentativité démographique (les écarts types et coefficients de variation qui expriment la variété des situations par rapport à la moyenne sont plus faibles). C’est particulièrement le cas lorsque StL est utilisée dans sa version originale, c’est-à-dire sans imposer un député par département, mais dans ce cas la Lozère n’a plus de député et l’amplitude de REP est donc plus forte, exprimant le fait que l’écart entre le mieux et le moins bien loti est plus important. Globalement, dans sa version originale StL revient à mieux doter les départements les plus importants et au contraire à favoriser les plus petits dans sa version StL-Dep.

Tableau 3 - Sur et sous représentations (REP) à l’échelle du département pour différentes méthodes d’allocation de députés

Coefficient REP pour différentes méthodes d’allocation des députés à l’échelle départementale

Sainte-Laguë Originale StL

Sainte-Laguë avec affectation minimum d’un député par département STL-Dep

Plus des plus forts restes PFR

Méthode des plus forts restes avec affectation minimum d’un député par département PFR-Dep

Maximum

144,3

127,0

184,0

133,1

Minimum

0

46,6

0

23,3

Moyenne

100,1

92,2

99,3

92,7

Médiane

100,0

93,4

99,2

93,2

Amplitude

144,3

80,3

184,0

109,8

Écart-type

16,9

18,5

26,4

27,9

Coefficient de variation

16,8

20,1

26,6

30,1

Sources : Ministère de l’Intérieur (20/06/2017)

38En analysant spatialement les pertes de sièges consécutives à l’usage des méthodes StL et Stl-Dep par rapport à la situation actuelle (carte 3), on observe que l’intensité des pertes est structurée dans l’espace. StL conduit à former de grands groupes de départements qui perdent entre un tiers et la moitié de leurs députés (pour des nombres initiaux de députés qui peuvent être faibles), alors que StL-Dep fournit logiquement une structure spatiale beaucoup moins nette, le fait d’imposer un député par département limitant les changements relatifs de situations en favorisant notamment les plus petits départements.

Carte 3 - Évolution du nombre de sièges par département pour les méthodes StL et StL-Dep

Carte 3 - Évolution du nombre de sièges par département pour les méthodes StL et StL-Dep

39Les mêmes analyses, réalisées à l’échelle régionale, montrent qu’un “lissage” se produit et que toutes les méthodes donnent les mêmes résultats. Pour toutes les régions le pourcentage de perte de sièges est de l’ordre du tiers, valeur qui correspond à l’objectif de la réforme. Seule la région Bourgogne-Franche-Comté apparait relativement plus perdante avec une baisse de 37 % de son nombre de sièges (tableau 4).

Tableau 4 - Répartition des 375 sièges selon les méthodes de Sainte-Laguë et « du plus fort reste » à l’échelle des régions

Région

Nombre actuel de sièges

Nombre de sièges pour une proportionnalité pure à la population

Nombre de sièges méthode Sainte-Laguë

Nombre de sièges méthode « des plus forts restes »

Perte de sièges en % par rapport à la situation actuelle

Ile-de-France

97

70

70

70

28

Auvergne-Rhône-Alpes

64

46

46

46

28

Hauts-de -France

50

35

35

35

30

Nouvelle-Aquitaine

49

35

35

35

29

Occitanie

49

34

34

34

31

Grand-Est

49

33

33

33

33

Provence-Alpes-Côte d’Azur

42

29

29

29

31

Pays de la Loire

30

22

22

22

27

Normandie

28

20

20

20

29

Bretagne

27

19

19

19

30

Bourgogne-Franche-Comté

27

17

17

17

37

Centre-Val de Loire

23

15

15

15

30

Source : Ministère de l’Intérieur (20/06/2017)

40Du point de vue de la représentation démographique, l’affectation des députés à l’échelle régionale permet par ailleurs une plus grande équité. L’amplitude, la variance et le coefficient de variation de l’indice REP sont en effet logiquement plus faibles (tableau 5), notamment parce que les populations régionales étant plus importantes que celles des départements les effets de seuils sont en effet moins marqués.

Tableau 5 - La répartition des sièges selon les diverses méthodes à l’échelle régionale

Nombre de députés calculé au prorata de la population (arrondi à l’entier le plus proche)

Nombre de députés calculé pour la méthode de Sainte-Laguë

Nombre de députés calculé pour la méthode des plus forts restes

Indice REP

Maximum

70

70

70

102,3

Minimum

15

15

15

98,8

Moyenne

30,7

31,2

31,2

100

Médiane

30,5

31

31

99,8

Amplitude

55

55

55

3,5

Ecart-type

14,8

14,7

14,7

1,1

coefficient de variation

1,78

1,76

1,76

0,01

Source : Ministère de l’Intérieur (20/06/2017)

41Tout comme lorsque la France a été considérée comme un tout, on voit qu’il est très difficile de tendre vers l’idéal de l’égalité démographique devant le suffrage en intégrant les découpages départementaux ou régionaux, que l’on utilise des méthodes simples ou plus complexes. C’est d’autant plus vrai que l’on s’impose des contraintes dans l’allocation des députés, comme la règle d’un député minimum par département. On note toutefois que le cadre régional permet plus d’égalité devant le suffrage que le découpage départemental, parce qu’il offre « statistiquement » plus de souplesse dans la répartition possible des députés. L’échelle régionale apporte également plus de robustesse dans le processus d’allocation des députés, puisque les résultats s’avèrent presque identiques quelle que soit la méthode utilisée.

42Ces analyses ne proposent donc pas une méthode “optimale” de répartition des futurs 375 députés, mais illustrent, en variant les méthodes et les échelles d’observation, que cette répartition est tout sauf neutre et aisée. Elles montrent que choisir une méthode de répartition des députés et la qualité de la représentation qui va avec, doit immanquablement conduire à questionner la notion même de représentation nationale et donc la définition du rôle et du statut du député.

Allocation des députés et enjeux de représentation

43On l’a vu, la diminution d’un tiers des députés n’est pas qu’une simple question d’arithmétique. Elle oblige à questionner la définition même de la représentation, car le maintien des règles actuelles de répartition pour 375 députés, en particulier le cadre de l’échelle départementale, ne peut que conduire à un accroissement des inégalités devant le suffrage et déstabiliser le compromis « de fait », mais imparfait, établi pour Assemblée nationale, entre l’égale représentation démographique et l’égale représentation des territoires. Opter pour une allocation régionale des députés est-il alors nécessaire, au risque de réduire la représentation des territoires ? Si on s’accorde sur une allocation régionale des députés sur une base démographique, demeure encore l’enjeu du découpage concret des circonscriptions pour lequel la prise en compte de la seule population résidente pose question du fait de la transformation des modes de vie (Stock, 2006).

Une nécessaire allocation des députés à l’échelle régionale ?

44Le projet de réduction du nombre de députés affecte les deux étapes de la spatialisation de la représentation : d’abord la répartition des députés sur l’ensemble du territoire national (ici réduit à la France métropolitaine), à l’intérieur ou non des découpages politico-administratifs existants que sont les départements et les régions et, dans un second temps, en cas de maintien du scrutin uninominal, le découpage des circonscriptions permettant l’élection des députés à l’intérieur des espaces départementaux ou régionaux. La première phase d’allocation des 375 sièges sur le territoire métropolitain pose deux questions : est-il possible de se passer de tout découpage administratif pour tendre vers l’usage d’un découpage fonctionnel de l’espace national ? Ne faut-il pas abandonner l’allocation départementale des députés au profit du découpage régional ?

45Les bases de données désagrégées de l’INSEE et les outils actuels (Système d’Information Géographique) permettent de construire assez aisément des répartitions de députés respectant des principes simples et équitables tels que l'égalité de population ou de surface par député, l’égalité d’accessibilité des habitants aux députés, ou encore l’égale répartition des députés dans différents types de territoire (rural, périurbain, urbain, métropolitain) au prorata de leur population (cf. partie 1). Ce type de méthodes d’allocation ignore cependant l’héritage politico-administratif et culturel, départemental et cantonal, tout comme la nécessité pratique de l’encadrement administratif des scrutins. Par ailleurs, mobiliser ces méthodes poserait sans aucun doute des problèmes, difficiles à résoudre à court terme, concernant les conditions pratiques de la sélection des candidatures et de la conduite des campagnes électorales. Cela irait aussi avec une profonde recomposition de la structure des territoires politiques que peu semblent prêts à assumer : à quelle échelle les partis politiques structureraient-ils leur implantation et procèderaient-ils aux investitures ? Dans quel espace les candidats feraient-ils campagne s’ils étaient affectés à des types de territoires définis nationalement ?

46Aussi, il semble problématique d’envisager, sans une lourde réflexion en amont, d’allouer les députés sans référence aux découpages politico-administratifs actuels, en particulier si l’on souhaite conserver une certaine dimension « identitaire » de la représentation. Les députés s’affichent en effet volontiers avec telle ou telle « identité territoriale », qu’ils contribuent eux même à construire pour asseoir la légitimité de leur candidature, a fortiori quand ce sont des “autochtones”. Si l’on maintient l’usage des découpages politico-administratifs actuels, ne serait-ce que pour des raisons issues de décennies de pratiques électorales, le passage de l’échelon départemental à l’échelon régional pour affecter les députés apparaît nécessaire, car il donne plus de souplesse pour limiter les inégalités en termes de représentation démographique dans la perspective de la réduction du nombre de députés (partie 2). À 375, la conservation de la règle d’affectation d’un député par département conduirait en effet à accroître les inégalités démographiques. À l’inverse, on a pu voir que l’affectation des 375 députés au niveau régional, au prorata de leur population résidente (notamment avec la méthode de Sainte-Laguë), permet une plus grande équité et robustesse des résultats. La répartition des 375 députés à cette échelle politico-administrative permet de maintenir une certaine dimension identitaire à la représentation territoriale (même si les nouvelles régions sont encore peu appropriées par la population) et de conserver les acquis en termes d’administration des scrutins. Néanmoins, allouer un nombre réduit de députés à l’échelle régionale implique une diminution de la granularité et de la qualité de la représentation des territoires. Cette fragilisation de la représentation territoriale apparaît souvent comme un argument de fond décisif des opposants à la limitation du nombre de députés.

47La réflexion sur les implications de la réforme nécessite donc de revenir sur les évolutions de la notion de représentation elle-même.

Nation, population, territoire, représentation

48Le concept de représentation s’est historiquement enrichi autour de trois notions – la Nation, les populations et les territoires – au cours des différentes étapes de la codification constitutionnelle et dans les pratiques politiques. La théorie du gouvernement représentatif a d’abord supposé que les députés ne sont pas les mandataires des intérêts de leurs circonscriptions, mais les libres représentants de l’intérêt général (Manin, 2012). Ils représentent la Nation, agissant en toute indépendance au nom de tous. Concrètement, ces représentants devant être répartis sur le territoire, le Comité de division de la Convention nationale pose dès 1792 les premiers jalons de la relation entre démographie et démocratie, en décidant par principe de fonder la représentation nationale sur la seule population (Aberdam, 2004). L’égalité devant le suffrage se comprend alors comme une règle mathématique qui assure la qualité démocratique du vote. Le député correspond à une quantité d’habitants, mais il ne les représente pas. Le nombre des députés importe peu, pourvu qu’ils puissent « s’élever parmi la population ». Ces principes rendent donc théoriquement possibles les affectations selon les méthodes vues en début de partie 2, qui n’intègrent pas la représentation des identités territoriales.

49Par la suite, s’installe en France l’idée selon laquelle chaque député représente également, ou peut-être davantage, la portion de la population nationale qui l’a élu. Elle témoigne de la progression, aux XIXe et XXe siècles, des principes de la “démocratie directe” et de l’essor d’un rôle de porte-parole (que vient rappeler l'éphémère principe Quarante-huitard du mandat impératif), puis d’une “représentation-ressemblance” ou “miroir”, amorcée dans les expériences proportionnalistes, où la volonté du représentant ne saurait plus alors être en décalage avec celle des représentés (Castor, 2012). La règle démographique au fondement de l’égalité démocratique est de fait confrontée aux nécessités de l’organisation pratique des scrutins et au développement d’une véritable “ingénierie électorale” du découpage et du décompte des suffrages (Butler, Ranney 1992). La “représentation-ressemblance” incorpore alors la diversité des territoires : l’assemblée est supposée représenter à la fois populations et territoires. C’est ce que confirme le Conseil Constitutionnel en évoquant en 1986, les bases “essentiellement” – et non uniquement – démographiques du découpage électoral et les nombreux motifs susceptibles de les atténuer. Dans la logique proportionnelle, qui pense l’Assemblée nationale comme une représentation miniature de la société, le nombre de députés importerait davantage : la grande diversité des identités et des intérêts dans la population supposerait un grand nombre de représentants. Cette “représentation-miroir” reste néanmoins illusoire, tant la variété des groupes tenus pour “représentables” dans la société n’épuise jamais la diversité sociale et géographique.

50La représentation n’a donc aucun caractère absolu. La conciliation de la représentation démographique avec d’autres impératifs – notamment territoriaux – relève de la pratique électorale dans la démocratie. Ces principes obligent donc de fait à intégrer d’autres éléments que la seule population résidente dans les règles d’affectation des députés. Cet objectif de représentation démographique et territoriale, ne peut pas produire des circonscriptions qui seraient, selon le juriste Carré de Malberg, qu’une “mesure administrative” permettant simplement d’identifier un collège électoral pour la désignation de la représentation nationale. La circonscription devient très vite, dans la logique de la représentation-miroir, une “petite patrie” dont il faut défendre les intérêts à Paris. Les analyses qui répartissent les députés sur la base de l’accessibilité s’inscrivent dans cette perspective. Il faut pouvoir accéder au député pour lui transmettre des informations ou des griefs à remonter à l’Assemblée nationale. S’ils revendiquent rarement la représentation d’une surface en km², les députés peuvent parfois, souvent, se réclamer d’un milieu (la montagne, la côte…), d’un mode de production ou encore d’un type de territoire (rural versus urbain). Toutefois, cette représentation des territoires reste avant tout une rhétorique qui appartient surtout aux députés, plus ou moins contraints d’endosser le rôle intéressé de courtier des intérêts de leurs électeurs. Les analyses ayant montré que les circonscriptions sont très rarement totalement « urbaines » ou « rurales » (avec de plus des définitions variables de ces catégories) illustrent cette subjectivité du positionnement d’un député se revendiquant de telle ou telle catégorie de territoires.

51Dans le cadre d’une compétition politique de plus en plus concurrentielle (Garrigou, 2002), les candidats et les élus développent localement des relations électorales de clientèle et s’identifient à leurs électeurs et à leur espace de vie, au profit d’une “représentation-incarnation” (Gaxie, 1993). La domination historique du scrutin uninominal de circonscription sur le scrutin de liste proportionnel favorise également une “représentation territoriale des intérêts”. Le jeu électoral territorialise ainsi la représentation et politise le découpage de l'espace politique. Comme l’explique Thomas Marty, l’espace électoral “ne peut être compris [...] que comme un espace de production de résultat(s) électoral et non comme un simple espace obéissant à des lois strictement démographiques” (Marty, 2013). Dans son Atlas historique, Bernard Gaudillère rappelle également que “le découpage n’est pas [...] une opération de pure géométrie : il est inextricablement lié aux ambitions des élus et responsables de partis. Il constitue non une règle du jeu qu’il conviendrait de soustraire aux contestations, mais purement et simplement une arme de combat. Les cartes prouvent aisément qu’aucun régime n’a résisté à la confection de ces circonscriptions en forme de chimères biscornues qui sont la quintessence du machiavélisme découpeur” (Gaudillère, 1995). On comprend alors que l’Assemblée nationale doive l’inflation de ses membres aux arbitrages politiques des stratégies de découpage des “fiefs” électoraux. C’est dans cette dynamique politique que le nombre de députés n’a pratiquement jamais cessé de croître après l’installation de chacun des régimes politiques successifs en France depuis le milieu du XIXe siècle, et de 1967 à 1986 sous la Ve République (Gaudillère, 1995). En 2018, la proposition volontariste de réduction du nombre des députés rompt avec cette dynamique politique. Elle implique comme on l’a vu inéluctablement une certaine déterritorialisation de la représentation nationale par la nécessité d’une répartition des sièges à l’échelle régionale sous peine d’accroître les inégalités de représentation. Elle suppose que l’élection législative ait moins vocation à refléter fidèlement l’arc-en-ciel des opinions et des intérêts, éventuellement attachés à des spécificités territoriales (élection-représentation), qu’à manifester une volonté majoritaire (élection-décision).

52Du point de vue des principes juridiques et philosophiques, l’opposition à la diminution du nombre de députés ne saurait donc être justifiée par la diminution induite de la représentation des territoires. Dans le modèle de la démocratie représentative et pour l’opération de désignation de la représentation nationale, les électeurs n’ont théoriquement pas à être spécifiquement représentés dans la diversité de leurs identités : ils sont ici uniquement invités à participer à une procédure électorale de sélection des représentants parmi eux-mêmes. C’est ce que rappelle Luhmann (2001) en considérant que l’élection n’est qu’une procédure ouverte de désignation des gouvernants, le principe démographique d’égalité devant le suffrage n’ayant vocation qu’à corriger les inégalités susceptibles d’entraver le processus démocratique d’ascension des gouvernés au rang de gouvernants. En outre, la théorie du mandat représentatif, qui suppose que les élus représentent non pas les intérêts particuliers de leurs électeurs, mais l’intérêt général de la nation tout entière, justifie que le nombre d’électeurs, la population et le territoire diffèrent, même fortement, d’une circonscription à une autre (Castor, 2012). Selon ces principes la marge de manœuvre pour trouver une méthode d’allocation des députés est donc théoriquement relativement large. Reste à savoir jusqu’à quel degré les bouleversements dans le mode de désignation des députés peuvent être acceptés.

Conclusion

53La construction de cet article qui commence par qualifier la qualité de la représentation actuelle, puis celle issue de différentes méthodes d’allocation d’un nombre réduit de députés en tenant plus ou moins compte des contraintes législatives actuelles, mais aussi des pratiques empiriques, conduit à la conclusion que la réforme envisagée, qui consiste à diminuer d’un tiers le nombre de députés, oblige à s’interroger sur la vision que l’on souhaite de la représentation nationale aujourd’hui et comment elle doit se matérialiser.

54Un premier chantier consiste à s’interroger sur un possible renouvellement de la notion même de représentation (qui ou quoi un député doit-il représenter ?) pour pouvoir élaborer en conséquence un mode “juste” d’allocation des députés à des populations et/ou des territoires en se basant (ou non) sur des découpages politico-administratifs existants que sont les départements et les régions. Ici, à court terme, l’allocation des députés à l’échelle régionale (même si la pertinence du découpage régional peut lui-même être discuté, Brennetot, De Ruffray, 2014), qui donne plus de souplesse mathématiquement, avec la méthode de Sainte-Lagüe ou toute autre fournissant une bonne représentation démographique, paraît difficilement dépassable, sans remise en cause plus fondamentale du mode de scrutin (recours à la proportionnelle intégrale), voire des dispositifs mêmes de désignation des députés (tirage au sort dans la population par exemple). Mais peut-être la réforme peut-elle en être l’occasion ?

55Si l’on s’accorde sur le maintien d’une désignation par élection, sur la conservation du scrutin uninominal de circonscription et si l’on accepte une allocation des députés à l’échelle régionale, le second chantier consiste alors à découper concrètement des circonscriptions permettant notamment, autant que faire se peut, l’égalité démographique. La tâche est ici ardue eu égard aux évolutions contemporaines des modes de vie qui questionnent la nature de la population à prendre en compte. En effet, avec la montée en puissance de la bi-résidence, favorisée par les moyens de transport rapides et le numérique qui autorise le télétravail, avec les problèmes généralisés de non ou de mal inscription observés à tous les niveaux d’échelle, en raison notamment de la mobilité résidentielle qu’impose la précarisation du marché du travail (Braconnier, Dormagen, 2007), mais aussi en raison de comportements électoraux spécifiques par catégorie de population, avec des parts de populations étrangères qui peuvent être localement importantes, la population des inscrits sur les listes électorales et, a fortiori, celle des votants, est très loin de correspondre à la population totale à un coefficient près (cf. 1.1.2). Peut-on ici se contenter du principe selon lequel les citoyens actifs représentent eux même dans les urnes les populations voisines qui n’ont pas le droit de vote ? Ainsi, si on souhaite garder des bases « essentiellement démographiques » pour définir la représentation et assurer le principe d’égalité des citoyens devant le suffrage, les modes de vie contemporains obligent à s’interroger sur la nature de la population sur laquelle se baser pour définir les circonscriptions. Enfin, quelle que soit cette population, le découpage concret des circonscriptions apparaît comme un chantier qui sera au moins aussi discuté que celui de l’allocation des députés, eu égard aux possibilités accrues de gerrymandering que permettent les algorithmes actuels, en particulier si l’affectation des députés se réalise à une échelle plus large, régionale plutôt que départementale.

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Notes

1 Depuis le dernier découpage de 2010, on recense 577 sièges dont 535 pour la France métropolitaine Corse comprise.

2 L'argumentation dont la presse nationale se fait échos oppose d’une part et du côté des partisans de la réduction, le renforcement de l’efficacité des parlementaires, notamment dans leur capacité de contrôler l’action gouvernementale ; l’augmentation des moyens matériels de chaque élu ; l'amélioration de l’efficacité du travail parlementaire et la réduction de la “cacophonie” législative ; la diminution du coût global de la représentation parlementaire et, d’autre part et du côté des opposants, la diminution du pluralisme ; la déterritorialisation des députés et la nationalisation du Parlement ; la restriction du rôle local du député, de sa capacité à parcourir sa circonscription et connaître ses électeurs pour faire remonter les préoccupations de terrain ; le renforcement du présidentialisme par le contrôle d’une majorité plus homogène et le bridage de l’opposition ; la dilution du politique dans une logique gestionnaire d’inspiration néolibérale.

3 La proposition du président du Sénat de novembre 2018 de limiter la réduction à 22% (450 députés et 270 sénateurs) n’a pas encore été débattue (Vignal 2018). Le projet d’introduction du scrutin proportionnel de liste national pour 15% des députés n’est pas non plus tranché.

4 Base des unités urbaines 2010 de l’INSEE

5 Les calculs sont réalisés à l’aide d’outils SIG et se basent, pour des conditions de circulations fluides, sur le réseau OpenStreetMap des routes, amendé par le réseau issu de la BD Topo.

6 Contrairement à la méthode des plus forts restes, la méthode de Sainte-Laguë ne recourt pas un à quotient, mais repose sur une logique de diviseur. La population de chaque département est divisée par des entiers successifs correspondant à des nombres de sièges. Ensuite, si 100 sièges doivent être attribués, les 100 plus grandes valeurs de l’ensemble de la matrice Population départementale / entiers successifs sont sélectionnées. Chaque département se voit alors attribué le nombre de sièges selon le nombre de fois où il est intégré dans la sélection. Pour plus de détails : http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/vaillancourtProportionnelle/vaillancourtProporCalcul.html).

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Table des illustrations

Titre Carte 1 - Relation entre populations résidentes et inscrites
URL http://journals.openedition.org/espacepolitique/docannexe/image/7353/img-1.png
Fichier image/png, 632k
Titre Carte 2 - Sur et sous-représentation des populations départementales à l’Assemblée au travers de l’indice REP
URL http://journals.openedition.org/espacepolitique/docannexe/image/7353/img-2.png
Fichier image/png, 407k
Titre Carte 3 - Évolution du nombre de sièges par département pour les méthodes StL et StL-Dep
URL http://journals.openedition.org/espacepolitique/docannexe/image/7353/img-3.png
Fichier image/png, 361k
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Pour citer cet article

Référence électronique

Cyrille Genre-Grandpierre, Guillaume Marrel et Mathieu Coulon, « Réduire le nombre de députés en France métropolitaine. Quel mode d’affectation, pour quelle représentation nationale ? »L’Espace Politique [En ligne], 39 | 2019-3, mis en ligne le 17 juillet 2020, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/espacepolitique/7353 ; DOI : https://doi.org/10.4000/espacepolitique.7353

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Auteurs

Cyrille Genre-Grandpierre

Professeur des universités
Avignon Université, UMR 7300 ESPACE
cyrille.genre-grandpierre@univ-avignon.fr

Guillaume Marrel

Professeur des universités
Avignon Université, E.A. 3782 LBNC
guillaume.marrel@univ-avignon.fr

Mathieu Coulon

Ingénieur d’études
Avignon Université, UMR 7300 ESPACE
mathieu.coulon@univ-avignon.fr

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Droits d’auteur

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