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Opinions

COVID-19 – Les hauts et les bas d’un certificat de vaccination

Par : Vardit Ravitsky
Crédit photo: DoroT Schenk (Pixabay)

Maintenant que le vaccin contre la COVID-19 fait son entrée chez nous, on entend beaucoup parler d’un éventuel certificat de vaccination qui permettrait aux personnes ayant reçu le fameux vaccin d’avoir plus de liberté que les autres. Une telle solution soulève bien des questions. Coup d’œil sur les enjeux éthiques à prendre en considération.

Partout dans le monde, on parle beaucoup d’un certificat de vaccination. Mais, pour l’instant, ce document n’existe que dans quelques pays. Un tel certificat pourrait être utilisé chez nous pour permettre aux gens d’avoir une vie plus normale. Certaines provinces étudient d’ailleurs la question.

Décider dans quelle situation le certificat est justifié s’avère très complexe et soulève de nombreux enjeux éthiques. Pensons aux personnes qui travaillent dans un hôpital et qui voient des patients toute la journée. Il serait sensé qu’elles aient à présenter un tel document pour pouvoir se libérer de leur équipement de protection contre la COVID-19, voire pour côtoyer des patients.

Le certificat pourrait aussi être requis plus largement. Ainsi, on pourrait l’exiger des personnes qui désirent retourner travailler sur place, aller à l’école ou encore fréquenter les commerces non essentiels. Par contre, on ne pourrait pas empêcher toutes les personnes qui ne sont pas vaccinées de sortir de chez elles. Une telle violation des libertés civiles serait inacceptable.

Évidemment, le certificat de vaccination contre la COVID-19 pourrait aussi être un outil de protection de nos frontières. Ainsi, on pourrait l ‘exiger de tous ceux qui reviennent de voyage. On pourrait aussi obliger ceux qui prennent l’avion à en détenir un. C’est d’ailleurs dans le domaine du voyage où ce serait le plus facile de l’exiger car, ici, on est en terrain connu. Il n’est pas rare de devoir se procurer des visas ou des vaccins pour entrer dans un pays. Il arrive aussi que des tests de dépistage soient nécessaires.

Quel que soient les choix qui seront faits, il faudra garder à l’esprit que le certificat de vaccination comportera d’énormes avantages pour les personnes vaccinées, alors que pour celles qui ne le sont pas, il aura en quelque sorte un aspect punitif. L’absence d’un tel certificat pourrait limiter considérablement leurs relations familiales et amicales, leurs déplacements ainsi que, dans certains cas, leur possibilité d’emploi.

En fait, les personnes non vaccinées pourraient être privées de certaines libertés jusqu’à ce que l’immunité collective soit atteinte, ce qui signifie plusieurs mois, voire un ou deux ans. Et cela alors que ceux qui les entourent recommencent à vivre normalement. À cause des contraintes qu’il impose, le certificat de vaccination ne peut être exigé que dans des situations très précises, lorsqu’il y a un risque élevé d’infection pour la personne non vaccinée et ses proches.

Cela dit, il y a des gens qui ne peuvent pas être vaccinés ou pour lesquels cela n’est pas médicalement conseillé. Pour ces personnes, je crois qu’il faudrait créer un mécanisme d’exception. Mais c’est complexe. D’autant plus que, en bénéficiant d’une exception, elles seraient moins bien protégées. Or, le but du certificat de vaccination est justement de faire en sorte qu’elles bénéficient d’une protection…

Pour que ce certificat obtienne une certaine adhésion de la part de la population, il faudra que l’on diffuse à son sujet suffisamment d’information et qu’on le fasse clairement. Si on ne parvenait pas à bien expliquer sa raison d’être et son utilité, il pourrait être difficile à mettre en œuvre et à faire respecter.

Ce faisant, il faudra tenir compte de toutes les situations possibles. Limiter les déplacements à l’étranger pour des vacances, c’est une chose. Mais empêcher une personne d’aller aux funérailles de sa mère, c’en est une autre. De même, magasiner pour le plaisir, ça n’a rien à voir avec le fait d’aller acheter des médicaments et de la nourriture. Devrait-on aussi prévoir des mécanismes d’exception pour les déplacements qui ne sont pas du luxe?

Tenir compte des différentes situations ne sera donc pas facile. Les approches nuancées des gouvernements portent souvent à confusion et sont aisément critiquées. On préfère le noir et blanc, les solutions simples qui sont faciles à comprendre. Pourtant, ici, les nuances sont importantes. Il ne faudrait pas que le certificat de vaccination soit vu comme la solution magique qui peut nous sortir de la pandémie. Ce n’est pas si simple.

Généralement, on envisage de créer un certificat électronique, quelque chose qui pourrait être obtenu au moyen d’une application sur un téléphone intelligent. Mais cela soulève un autre enjeu éthique : encore bon nombre de personnes ne disposent pas d’un tel téléphone et il s’agit souvent de personnes vulnérables. Elles seraient donc victimes de discrimination, ce qu’il faut bien sûr éviter.

Il y a aussi un risque de fraude. Certains pourraient tricher et créer eux-mêmes de faux certificats de vaccination qu’ils utiliseraient alors qu’ils ne sont pas immunisés. Même si l’on n’a pas encore vu de quoi aurait l’air ces certificats, on peut présumer que ce ne serait pas très compliqué d’imiter ce type de documents, surtout pour des personnes très à l’aise avec la technologie.

Il ne faut pas non plus oublier les préoccupations du public par rapport à la confidentialité des données. On devra donc s’assurer que seules les personnes autorisées auront accès aux renseignements contenus dans le certificat de vaccination.

Enfin, une autre question se pose : qui prendrait la décision d’exiger un certificat de vaccination ? Le gouvernement ou le secteur privé ? Moi je crois que, si jamais on décide s’engager sur cette voie, il faut absolument que ce soit le gouvernement. Il faudra alors une politique claire et nuancée sur la base de consultations avec des experts, pour que l’utilisation des certificats soit la plus justifiée et la moins discriminatoire possible.

Cela dit, certaines entreprises privées pourraient être tentées de prendre les devants. En exigeant de leurs clients un certificat de vaccination, elles pourraient affirmer que leurs services sont sécuritaires. Par exemple, une compagnie aérienne pourrait demander à ses passagers de présenter un tel document lors de l’embarquement (la compagnie aérienne australienne Qantas le fait déjà). Une chaîne d’alimentation et une salle de spectacle pourraient demander la même chose à ceux qui franchissent le seuil de leur établissement (plusieurs y songent actuellement). D’un point de vue éthique, de telles initiatives sont très risquées. Laisser des acteurs privés agir de la sorte ouvre toute grande la porte à la discrimination.

Les propos de Mme Ravitsky ont été recueillis par Maryse Guénette.