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La Charte québécoise des droits et libertés permet-elle de mobiliser l’intersectionnalité comme cadre d’analyse de la discrimination? Quelques pistes de réflexion

Published online by Cambridge University Press:  30 March 2021

Vanessa Tanguay*
Affiliation:
Candidate au doctorat, Faculté de droit, Université McGillvanessa.tanguay@mail.mcgill.ca
Rights & Permissions [Opens in a new window]

Résumé

Cet article s’interroge sur les différentes possibilités susceptibles d’éclairer la norme juridique antidiscriminatoire québécoise, soit l’interdiction de discrimination prévue à l’article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, par le cadre théorique de l’intersectionnalité. On procédera à un bref survol de la pensée intersectionnelle telle que développée dans les disciplines externes au droit ainsi qu’un portrait de son intégration au droit sont dressés afin de comprendre la pertinence de l’intersectionnalité pour appréhender la « réalité » sociale de la discrimination. Quelques points d’ancrage de la mobilisation de l’intersectionnalité seront présentés dans une perspective de réinvestissement du droit vers une appréhension élargie de cette « réalité » sociale par la norme juridique. Il est ainsi proposé de repenser les catégorisations juridiques et de déconstruire les dynamiques d’oppression en ouvrant des possibilités de mobilisation concrètes au moment de l’énonciation et de l’interprétation par la pratique judiciaire des éléments constitutifs de l’acte discriminatoire.

Abstract

Abstract

This article examines different possibilities to inform Quebec’s anti-discrimination legal standard, that is the prohibition of discrimination set out in Section 10 of the Quebec Charter of Human Rights and Freedom, using intersectionality as a theoretical framework. A brief overview of intersectionality as developed in disciplines external to law as well as a snapshot of its integration into law are provided to better understand the relevance of intersectionality, thus allowing to demonstrate the social “reality” of discrimination. Some key points related to the mobilization of intersectionality will be presented through a perspective of reinvesting the law towards a broader understanding of this social “reality” by the legal norm. It is therefore proposed to rethink legal categorizations and deconstruct dynamics of oppression by opening concrete possibilities for mobilization when judicial practice communicates or interprets the core elements of a discriminatory action.

Type
Articles
Copyright
© The Author(s), 2021. Published by Cambridge University Press on behalf of the Canadian Law and Society Association

La littérature dans des disciplines « externes » au droit reconnaît l’existence, dans le monde social, de formes de discrimination multidimensionnelle, cumulative ou intersectionnelleFootnote 1 . Cette réalité sociale du phénomène de discrimination a parfois de la difficulté à correspondre à la conception juridique des motifs interdits en vertu des lois garantissant les droits de la personneFootnote 2 . La discrimination intersectionnelle, qui s’entend de la combinaison de motifs produisant une forme unique et distincte de discrimination, semble difficilement comprise par le droit québécoisFootnote 3 . Nous nous sommes interrogés sur les différentes possibilités susceptibles de réduire cet écart constaté entre la conception juridique de l’égalité et sa « réalité » sociale, en adoptant une lunette intersectionnelle. Il est utile de faire un survol de cette approche (I), pour ensuite nous intéresser aux mobilisations possibles au regard de la norme antidiscriminatoire prévue à l’article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec [Charte] (II).

I. L’intersectionnalité comme outil d’analyse critique du droit à l’égalité

La réflexion sur les inégalités multiples et croisées a trouvé ses origines dans la littérature féministe afro-américaineFootnote 4 , puis s’est principalement développée au sein des théories féministesFootnote 5 (A). Elle a ensuite trouvé écho dans le droit, sous diverses formes plus ou moins intégrées (B).

1. Origines dans la littérature critique féministe

L’origine du terme « intersectionnalité » est associé à Kimberlé W. CrenshawFootnote 6, professeure de droit dont les travaux s’inscrivent dans la Critical Race Theory Footnote 7. En utilisant la métaphore d’une intersection dont les routes représentaient les axes d’inégalités (sexisme et racisme) et au centre de laquelle se trouvait une femme de couleur, elle a démontré que : « les expériences des femmes de couleur sont souvent le produit des croisements du racisme et du sexisme, et qu’en règle générale, elles ne sont pas plus prises en compte par le discours féministe que par le discours antiraciste »Footnote 8. Puisque les expériences vécues par ces femmes sont « qualitativement différentes »Footnote 9, leurs intérêts sont ainsi marginalisés par les deux discours. Même si plusieurs analyses incluent d’autres facteursFootnote 10, l’axe du racisme demeure fondamental en vue d’éviter la production d’une norme selon laquelle les situations vécues par les personnes blanches ne font pas intervenir les aspects de la race et de la couleurFootnote 11.

Concept repris maintes fois, dans de multiples disciplinesFootnote 12, l’intersectionnalité demeure peu définie, difficilement mobilisable et très flexible. Alors que certaines femmes voient une différence entre les analyses « intersectionnelles », « croisées », « holistes » ou « multidimensionnelles »Footnote 13, d’autres nomment « intersectionnalité » toute prise en compte de l’effet de multiples dominations. Dans cet article, nous retenons une approche qui dépasse la simple addition de motifs et le cumul des effets de chacune des discriminations considérées de façon compartimentée. Nous insistons sur le fait qu’il est important de considérer la simultanéité des effets qui, combinés, créent une expérience vécue unique et complexe. Dans sa métaphore de l’intersection, Crenshaw affirme que la blessure occasionnée par deux voitures provenant de chacune des routes et se croisant au même moment était unique; on ne pouvait déterminer quelles blessures provenaient de l’une ou de l’autre. Si les ambulanciers exigeaient une telle distinction, la blessure ne pourrait pas être soignée. De la même façon, si le droit exige de distinguer les motifs et leurs effets pour reconnaître la discrimination, il ne peut pas appréhender celle-ci dans toute sa complexité. Cette simultanéité et co‑constitution des dynamiques oppressives est, selon nous, un élément central de l’intersectionnalité, la discrimination multiple ne constatant pas de façon suffisante l’expérience de discrimination vécue par certaines personnes au centre des axes d’inégalités.

Malgré la popularité de l’intersectionnalité aussi bien dans la recherche académique que dans les mouvements militants, il ne s’agit pas d’une approche précise et consensuelle. Il existe toutefois un point commun : les auteurs présument que l’intersectionnalité a pour objectif de rendre compte plus adéquatement de la « réalité » de la discrimination dans toute sa complexité. En droit, les auteures qui l’invoquent estiment que des victimes de discrimination pourraient tomber dans les failles s’il n’y a pas de changement dans la détermination du sens du droit à l’égalitéFootnote 14. Ce constat est aussi associé à la recherche d’une meilleure justiceFootnote 15.

Cela correspond à l’exigence qui apparaît intrinsèque au droit à l’égalité, soit que la conception de ce droit se rapproche de la « réalité » de l’expérience de discriminationFootnote 16. Il faudrait, pour ce faire, enrichir et complexifier l’analyse des motifs de discrimination, en accordant une importance fondamentale au contexte social et historique. Les développements récents n’abordent pas les enjeux particuliers qui nous intéressent dans le cadre de cet article, à savoir comment mobiliser une telle approche pour étudier la Charte québécoise.

2. Intégrations en droit

Parallèlement à cette réflexion théorique, il est utile de noter que des traces de l’intersectionnalité ont récemment commencé à apparaître dans les lois canadiennesFootnote 17 ainsi que dans les politiques et décisions des organismes chargés de la protection et de la promotion des droits de la personneFootnote 18. L’intersectionnalité est aussi de plus en plus accueillie dans le discours en droit international publicFootnote 19.

La pratique judiciaire démontre une faible utilisation concrète de l’intersectionnalité dans l’analyseFootnote 20 sauf généralement pour décrire un contexte factuel. La juge l’Heureux-Dubé, à la Cour suprême, a maintes fois reconnu le croisement ou le chevauchement de motifs de discrimination, sans toutefois expliciter les effets particuliers sur la personne subissant la discriminationFootnote 21. On assiste à une reconnaissance de discrimination multiple dont les effets sont présumés s’additionner, mais qui ne sort pas d’une approche traditionnelle axée sur un motif principalFootnote 22. Il est toutefois indéniable que les opinions de la juge ont assuré l’avancement de réflexions sur ce sujet dans la littérature juridique et la jurisprudence subséquenteFootnote 23.

Bilge et Roy, sociologues, ont proposé d’examiner la jurisprudence relative à l’égalité qui utilise l’intersectionnalité. Ils distinguent quatre approches de la discrimination : moniste, compartimentée, cumulative et holiste (intersectionnelle)Footnote 24. Ils concluent que l’intégration de l’intersectionnalité crée des paradoxes puisque, malgré la constatation d’une discrimination intersectionnelle, les tribunaux ne tiennent pas compte de ses effets dans l’octroi de la réparationFootnote 25. Force est de constater qu’il n’y a pas eu de changements observables depuis sur cet aspect.

Au Québec, deux décisions du Tribunal des droits de la personne (TDP) ont énoncé explicitement la notion d’intersectionnalité en analysant l’article 10, sans toutefois l’appliquer au raisonnement. En 2010, le TDP avait constaté que le statut d’emploi occasionnel, combiné à d’autres « facteurs » (sexe, origine ethnique ou âge), « peut entraîner des conditions de travail moins avantageuses, voire un effet d’exclusion par rapport à certaines protections professionnelles et sociales » Footnote 26. Qualifiant cette prise en compte « [de] l’approche contextualisée et sensible au phénomène de discrimination dite « intersectionnelle » », le TDP reconnaissait qu’il est pertinent d’être attentif aux combinaisons sans toutefois mobiliser un cadre d’analyse conséquentFootnote 27. Plus récemment, dans une affaire de profilage racial, la CDPDJ avait soumis que les jeunes hommes de couleur noire étaient perçus comme « étant plus grands et plus forts, donc plus susceptibles d’infliger des blessures, que les jeunes hommes blancs de gabarit similaire, et qu’en conséquence, ce biais pourrait influencer la décision d’utiliser la force afin de les maîtriser »Footnote 28. Elle demandait au TDP d’analyser la preuve à la lumière de cette approche contextualisée de la discrimination intersectionnelle. Dans l’analyse des motifs, le TDP a retenu la considération des motifs de façon cumulative, considérant que les « les plaignants sont membres ou ont été perçus comme membres d’un groupe visé par un motif interdit de discrimination, notamment la race, la couleur, l’état civil et le handicap »Footnote 29. Les autres critères n’ayant pas été démontrés, la demande a été rejetée.

Deux décisions de la Cour d’appel du Québec ont mentionné la notion d’intersectionnalité. En 2010, une femme en situation de handicap demande un accommodement pour l’accès à un logement dans une coopérative d’habitation. La Cour reconnaît que, vu la mission de la coopérative quant aux situations d’inégalités économiques, il est pertinent de soulever que le handicap et le statut de personne à faible revenu se recoupent (« intersect ») et que l’analyse de l’aspect raisonnable de l’accommodement aurait dû en tenir compteFootnote 30. En 2017, les parents d’un enfant en situation de handicap invoquent une discrimination intersectionnelle fondée sur l’état civil et le handicapFootnote 31. La Cour estime qu’il s’agit plutôt d’une situation de victime par ricochet, sans toutefois nier que des parents puissent, dans une autre situation d’espèce, être victimes en raison du handicap de leur enfant; la Cour ne mentionne pas l’aspect intersectionnel. Les décisions judiciaires prises aux termes de l’article 10 reconnaissent ainsi une certaine ouverture à l’intersectionnalité sans procéder à une véritable analyse des recoupements de motifs ou de leurs effets combinés et simultanés dans des situations de discrimination.

En somme, des déplacements dans la conception du droit à l’égalité sont certes observables mais les critiques notent des failles importantes. La norme d’égalité québécoise ne semble pas faire exception à ces critiques. On voit parallèlement apparaître un désir de mobiliser les idées générales posées par l’intersectionnalité pour mieux comprendre les réalités d’expériences soumises aux tribunaux. Malgré sa flexibilité et sa définition parfois vague, il semble pertinent de s’interroger quant à l’opportunité de mobiliser un cadre d’analyse intersectionnel pour étudier cette norme.

II. Quelles mobilisations de l’intersectionnalité pour réinvestir le droit québécois à l’égalité ? Quelques points d’ancrage

Dans le cadre particulier de la Charte, il n’est pas aisé d’avoir recours à l’intersectionnalité en tant qu’outil permettant d’appréhender des expériences factuelles de discrimination entre personnes privées, et conséquemment, d’y appliquer une réparation effective et adéquate. Alors que cet aspect de la réparation nécessiterait une analyse importante, nous avons choisi d’explorer des points d’ancrage au moment de l’énonciation et de l’interprétation de la norme. Nous nous proposons d’explorer deux pistes de réflexion visant d’une part à repenser l’énonciation et l’interprétation des motifs de discrimination et d’autre part à appréhender de façon plus élargie le contexte social.

1. Vers un rejet de l’essentialisme dans l’énonciation des motifs

L’un des éléments piliers de la pensée intersectionnelle est le rejet d’une perspective essentialiste de la personne. Se qualifie d’essentialiste une théorie qui prétend identifier une classe identitaire abstraite, universelle et transhistoriqueFootnote 32. Ce constat d’essentialisme s’effectue particulièrement lors de l’identification et de la qualification des groupes à protéger par la norme (i). Les théories intersectionnelles offrent diverses approches pour repenser ces catégorisations juridiques (ii).

1.1 Les motifs : des catégorisations juridiques essentialistes?

Le libellé de l’article 10 consacre le droit à l’égalité par l’énonciation d’une interdiction de discrimination. Est interdit le traitement différencié fondé sur un motif énuméré. La liste, exhaustiveFootnote 33, a toutefois été adaptée au fil des changements de contextes sociaux par modifications législatives. Les motifs grossesse, âge et handicap (1982), orientation sexuelle (1977) et identité ou expression de genre (2016) ont été ajoutés afin de rendre compte de phénomènes de discrimination existants dans la société. Dans une perspective intersectionnelle, l’on constate qu’une telle identification, d’une part et, d’autre part, la qualification des groupes sociaux qui y correspondent reflètent une norme sociale dominante essentialiste.

D’une part, la détermination des motifs interdits reflète une certaine acceptation sociale des groupes pouvant être protégés, reflet de la norme sociale dominanteFootnote 34. Lors de l’étude détaillée de la première version de la Charte, le chef de l’Opposition officielle affirmait que la protection contre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle correspondait à « une évolution des mœurs », « à une plus grande ouverture d’esprit de la part des gens »Footnote 35. À l’inverse, le ministre de la Justice refusait l’ajout du motif au regard d’une autre perspective de la « réalité » sociale :

Je pense que l’état de réceptivité de la population en général est un facteur très important que le gouvernement doit considérer à l’occasion de l’étude d’une proposition comme celle qui est faite par le député […]. Si on est pour créer plus de résistance à l’adoption de la charte, à son rôle pédagogique, aux principes qui sont proposés dans la charte, à ce moment, on risque d’avoir des résultats qui sont contraires à ceux qu’on espère.Footnote 36

Ces travaux révèlent un intérêt des parlementaires à s’assurer que les motifs reconnus correspondaient à une acceptabilité sociale, estimant qu’ils devaient connaître la véritable situation de faitFootnote 37.

L’énonciation des motifs dans le libellé vise à restreindre la protection à certains groupes, ceux dont le législateur juge qu’il est moralement inacceptable de discriminer en raison de leur caractéristique identitaire. La loi peut être modifiée si un motif est dorénavant considéré comme devant être protégé selon une norme sociale dominante.

À titre d’exemple, le motif de « grossesse » a été ajouté à la liste des motifs interdits suivant une interprétation de la Charte qui n’embrassait pas suffisamment la réalité. Les premières interprétations n’avaient pas associé la grossesse au motif de sexeFootnote 38, les tribunaux considérant qu’il ne pouvait y avoir discrimination entre personnes de même sexeFootnote 39. Le motif était conçu de façon binaire : le groupe dominé, les femmes, était seulement discriminable en ce qu’il différait du groupe dominant, les hommes. Suivant l’arrêt Brooks Footnote 40, les tribunaux se sont distingués de ce raisonnement en incluant la notion de grossesse au motif de sexeFootnote 41. La Cour suprême indiquait retenir le « sens commun » selon lequel une distinction fondée sur la grossesse correspondrait nécessairement au motif de sexe, s’agissant d’une réalité biologique liée au fait d’être une femmeFootnote 42. Le juge affirma qu’il croyait que toute personne n’ayant pas de formation juridique en viendrait aisément à cette conclusionFootnote 43. La norme dominante n’est ainsi pas contestée même dans la mesure où la pratique judiciaire tente de tenir compte d’une « réalité » sociale dans sa détermination du sens. Cette identification exige une objectivation des motifs : ils sont considérés neutres et permanentsFootnote 44.

Le plus récent ajout est celui d’« identité ou expression de genre ». Bien que le TDP ait reconnu une protection contre la discrimination à l’égard d’une personne trans en 1998Footnote 45, l’état du droit avant la modification ne garantissait pas nécessairement la protection de l’ensemble des personnes trans* dans toute leur diversitéFootnote 46. Au moment d’adopter l’amendement, la ministre de la Justice insistait sur le fait que les organismes de défense avaient demandé cette formulation, alors que les parlementaires s’interrogeaient sur les définitions des concepts « d’identité de genre » et « d’expression de genre » :

[L]es [groupes et experts en santé et travail social] nous recommandent d’inclure l’expression de genre dans les motifs de discrimination afin d’être plus complets parce que les personnes trans font aussi l’objet de discrimination non seulement en raison de l’identité, le fait d’avoir une identité de genre qui ne correspond pas au sexe qui a été assigné à la naissance, mais aussi ils font l’objet de discrimination en raison de la façon dont ils expriment cette identité de genre ou la façon dont elles expriment cette identité de genre.

Alors, afin d’être plus inclusifs puis afin également de mieux cibler la lutte à la transphobie, on nous a recommandé d’ajouter le terme « expression de genre ». Comme je vous le mentionnais, ça ne pose pas de problème, puisque, pour nous, c’est inclus dans l’identité de genre, mais parfois il faut aussi savoir l’exprimer, le verbaliser. Footnote 47

Cette explication démontre que le législateur cherche à se référer à une réalité concrète qui est revendiquée par les groupes sociaux pour justifier l’ajout de motifs en plus d’admettre l’importance que prend le fait de l’inscrire expressément dans le libellé de la loi.

D’autre part, la qualification de la victime par son association à l’un des groupes protégés ou « protégeables », lesquels sont des construits sociaux objectivés en catégories juridiques, reproduit une conception essentialiste que l’intersectionnalité vise à dévoiler. Certains motifs réfèrent à des caractéristiques qui sont interreliées et difficiles à distinguer de manière précise dans la « réalité » :

Les concepts de race et d’origine ethnique pourront à l’occasion être confondus. Pourtant, l’un et l’autre réfèrent à des réalités distinctes. […] Loin d’être exhaustives, ces définitions permettent toutefois de cerner l’essentiel des réalités auxquelles s’adresse la Charte. Ces divers motifs ont toutefois en commun une hiérarchisation qui aura pour effet ultime d’entraver un individu en raison de sa race, de son origine ethnique ou de sa couleur dans l’un ou l’autre des volets de sa vie en société. C’est ce que cherche à contrer la protection énoncée à l’article 10 de la Charte.Footnote 48

Ces motifs sont toutefois énoncés de façon distincte, alors que les faits sociaux qui y sont rattachés sont interdépendants sans être isolés selon la catégorie ni distingués des autres catégories. Pourtant, le choix d’un motif de discrimination nécessiterait une compartimentation des divers aspects constituant en tout ou en partie un groupe « protégeable » afin d’assurer une catégorisation correspondante à l’un des motifs énumérés.

Malgré le recours à des motifs dits « neutres » et homogènes, la conception binaire d’un ensemble formé d’un groupe dominé et d’un groupe privilégié crée une asymétrie : femme/homme, hétérosexuel/homosexuel, avec ou sans handicap, etc.Footnote 49. La discrimination ne peut résulter que de l’association au groupe considéré « dominé ». Cette prétention à la neutralité dans l’énumération des motifs tend à objectiver des construits sociaux et nie une certaine « réalité » existante qui ne correspond pas à cette binarité et qui est beaucoup plus complexe. Par exemple, les personnes transsexuelles et transgenres ne pouvaient, jusqu’à tout récemment, s’identifier à la catégorie « sexe » dans son ensemble, si celle-ci se référait, dans son sens commun, généralement au fait d’être une femme en situation d’oppression par rapport aux hommes. D’autres motifs couvrent plus de groupes distincts tout en conservant cette logique binaire asymétrique : les motifs d’origine ethnique ou nationale, de religion et de race incluent un groupe dominant et plusieurs groupes dominés. Le motif « d’identité ou d’expression de genre », même s’il n’a pas encore fait l’objet d’une décision judiciaire en droit québécois, s’inscrit dans la même logique selon laquelle les personnes cisgenres sont le groupe de référence alors que toute personne s’en distinguant représente le groupe dominé. Rajoutons que le fait d’être une femme est reconnu comme étant une construction sociale du genre dans une vaste partie de la littérature féministe, alors qu’il est possible de penser que les discriminations à l’égard des femmes continueront d’être traitées sous le motif de « sexe » et non sous celui « d’identité de genre ». Une telle conception des motifs semble ignorer que l’oppression est subie par ceux qui ne sont pas inclus dans le groupe dominant de la catégorie, se maintient dans une idée plus formelle de l’égalité de tous devant la loi, et exige des personnes victimes des inégalités d’objectiver leurs expériences vécues pour se conformer à une catégorisation qui apparaît comme neutre, symétrique et universelleFootnote 50.

En conséquence, la recherche de correspondance entre la liste des motifs et la « réalité » résulte d’une catégorisation essentialiste en ce qu’elle nécessite l’identification de groupes « discriminables » sans questionner la norme sociale dominante qui, elle-même, maintient et reproduit des inégalités.

1.2 Repenser les catégorisations juridiques

Parmi les différentes théorisations de l’intersectionnalité, Leslie McCall, sociologue, discerne trois approches relatives à la catégorisation: anticatégorielle, intracatégorielle et intercatégorielle Footnote 51. L’étude de ces approches permet de cerner les possibilités de rejet de l’essentialisme dans la détermination juridique des groupes.

À l’extrémité de la gamme des approches intersectionnelles, certaines rejettent totalement ou du moins déconstruisent la notion de catégorieFootnote 52 en évitant les identifications essentialistes qui ne représentent pas de façon adéquate le monde vécuFootnote 53. Pour certains, il faudrait ainsi supprimer toute signification sociale de ces catégories d’identitéFootnote 54; pour d’autres, la différence est un vecteur d’émancipation politique et de reconstruction socialeFootnote 55. Au regard de l’article 10, dont l’un des trois critères est le fondement de la distinction sur un motif prévu dans la liste, l’approche anticatégorielle doit être rejetée, même si elle soulève certains éléments de réflexion pertinents dans le cadre de l’analyse des dynamiques d’oppression.

L’approche intracatégorielle considère l’expérience « réelle » particulière d’un groupe invisible au sein d’une catégorie reconnueFootnote 56. Un premier motif est considéré, puis le second est combiné pour dégager l’effet de leur croisement. L’affirmation explicite d’une possibilité de croisement constitue certainement un incitatif à en tenir compte dans la détermination du sens de la norme. Les normes antidiscriminatoires privilégiant la prise en compte de l’intersectionnalité s’inscrivent généralement dans cette logique « additive » ou cumulative des motifsFootnote 57. Ces dispositions reconnaissent qu’une discrimination peut être fondée sur un ou plusieurs motifs, permettant ainsi de dévoiler un groupe particulier au sein d’un premier groupe. Certaines lois ne prévoient pas expressément une telle combinaison, mais la pratique judiciaire y étant relative se permet d’invoquer l’intersection de motifs dans une perspective cumulative ou combinéeFootnote 58.

À première vue, aucun élément dans le libellé de la Charte n’interdit la combinaison de motifs. Le TDPQ considère parfois plusieurs motifs, sans véritablement les distinguer les uns des autres et sans en évaluer les effets combinés. Dans la majorité des cas, les motifs combinés sont ceux de race, d’origine ethnique ou nationale et de couleur, ainsi que ceux d’un handicap et des moyens d’y pallier. Dans ces cas, le TDPQ traite les motifs comme s’ils étaient interreliés, sans s’interroger sur les particularités de l’un ou de l’autre. Même s’il n’insiste pas sur le croisement de ces motifs, il n’a jamais nié la possibilité de constater une discrimination fondée sur une combinaison de motifs. Même si certaines demandes invoquent plusieurs motifs, parfois en soulignant le croisement, aucune décision du TDPQ ne permet de comprendre l’arrière-plan du raisonnement quant à une possible combinaison des motifs.

L’adoption d’une approche intracatégorielle pour déterminer le sens de la norme antidiscriminatoire québécoise passerait sans doute par une interprétation multidimensionnelle des motifs. La Cour suprême, sous la plume de la juge L’Heureux-Dubé, énonçait que :

[…] il ne faut pas enfermer le motif de « handicap » dans une définition étanche et dépourvue de souplesse […] il me semble plus utile de proposer des lignes directrices qui faciliteront l’interprétation tout en permettant aux tribunaux d’adapter la notion de handicap selon divers facteurs biomédicaux, sociaux ou technologiques.Footnote 59

La pratique judiciaire permet ainsi un élargissement de la réception des contextes lorsqu’elle détermine le sens juridique des motifs. Une interprétation multidimensionnelle permettrait de dévoiler des groupes parfois invisibilisés au sein de groupes plus facilement discernables et reconnus juridiquement.

L’approche intracatégorielle exige une réflexion sur la priorité de l’une ou l’autre des positions d’intersectionFootnote 60. Le fait d’identifier un groupe général et d’ensuite ajouter des caractéristiques pour identifier un groupe au sein de celui-ci nécessite une hiérarchisation préalable des facteurs. Elle est aussi critiquée au sens où elle ne permet qu’une analyse intersectionnelle restreinte aux sous-groupes visés sans prétendre à une application globale à tous les phénomènes sociaux d’inégalitésFootnote 61. En outre, le risque de définir ces groupes considérés de façon réductrice et essentialiste demeure probable puisqu’il subsiste des différences au cœur même de ceux-ciFootnote 62. Conséquemment, une telle perspective peut isoler les groupes les plus marginalisés et renforcer les stéréotypes à leur égardFootnote 63.

Les critères de détermination de la signification juridique de la norme québécoise n’empêchent pas une approche intracatégorielle, même si le libellé est silencieux à cet égard. Cela permettrait de respecter la nécessité d’associer la victime à un motif tout en tendant à réduire, sans toutefois véritablement le rejeter, l’essentialisme dans la catégorisation juridique des identités.

L’approche intercatégorielle étudie les effets des interactionsFootnote 64. L’analyse comparative y tient une place importante puisqu’il s’agit d’éclairer et de comparer les intersections à travers les catégories afin de révéler les processus structurels qui organisent les formes de pouvoirFootnote 65. Cette perspective a donné lieu à des recherches constructivistes s’intéressant à la façon dont les identités sont construites et co‑constituées par les catégories et les relationsFootnote 66. Les processus de marginalisation de groupes particuliers sont appréhendés sans nier les catégories identitaires. L’adoption d’une telle approche exigerait une plus grande prise en compte des dynamiques sociales simultanées entre plusieurs axes d’inégalités à partir de la position intersectionnelle des groupes étudiés.

Nous sommes d’avis que la déconstruction des dynamiques sociales d’oppression constitue un premier déplacement possible vers l’adoption d’une approche intersectionnelle pour élargir l’effectivité de la norme antidiscriminatoire québécoise. Cette déconstruction passerait notamment par une appréhension élargie du contexte de discrimination par le judiciaire, au moment de l’interprétation de la norme juridique.

2. Vers une appréhension élargie du contexte social de discrimination dans l’interprétation de la norme juridique

La Charte a pour objectif d’assurer le droit à l’égalité de façon effective par la lutte contre la discrimination et le respect de la dignité de la personneFootnote 67. La discrimination est avant tout un phénomène social. Au moment de la détermination du sens de la norme juridique par son interprétation, la pratique judiciaire est appelée à dresser un portrait de cette « réalité » dans sa globalité (le contexte). Cette dernière est toutefois difficile à saisir de façon effective par le judiciaire (i) alors qu’un cadre intersectionnel viserait à élargir la réception du contexte en considérant et déconstruisant les dynamiques d’oppression et leur simultanéité (ii).

2.1 L’égalité réelle : une « réalité » sociale difficile à saisir

L’interprétation large et libérale a mené les tribunaux canadiens à adopter une vision de plus en plus contextualisée de la justice en matière de droits de la personneFootnote 68. Cela impliquait parallèlement un déplacement dans la réception judiciaire de la discriminationFootnote 69, d’une conception formelle vers une conception dite « réelle » de l’égalitéFootnote 70. La discrimination s’est ainsi élargie aux actes apparemment neutres, mais discriminatoires dans leurs effets réelsFootnote 71. L’égalité « réelle » se réaliserait par un traitement différencié et adapté aux circonstancesFootnote 72, en rendant compte des « déséquilibres socio-économiques historiquement constitués entre les citoyens »Footnote 73.

Dans les premières interprétations de la Charte, Coutu et Bosset constatent une méfiance des juges qui se traduit par une interprétation stricte des motifs de discriminationFootnote 74. Les tribunaux québécois ont ensuite suivi le mouvement amorcé par la Cour suprême, particulièrement grâce à l’impulsion apportée par la création du TDPQFootnote 75 :

L’évolution de la notion de discrimination marquera le passage d’une logique libérale, imperméable aux conditions sociales, économiques et politiques de l’exercice des droits, à une logique substantive permettant de donner véritablement forme aux impératifs d’égalité inscrits dans la [Charte].Footnote 76

Cette logique accepte en partie la prise en compte des faits socio-économiquesFootnote 77, une pratique que Coutu et Bosset qualifient de « jurisprudence sociologique »Footnote 78.

En matière de droit à l’égalité, la prise en compte de la « réalité » sociale détient une importance indéniableFootnote 79. Soulignons l’opinion du juge McIntyre dans Andrews : « la matérialisation [du concept comparatif d’égalité] ne peut être atteinte ou perçue que par comparaison avec la situation des autres dans le contexte sociopolitique où la question est soulevée »Footnote 80. La juge Wilson avait affirmé que la détermination d’un motif analogue « ne peut pas être tirée seulement dans le contexte de la loi qui est contestée, mais plutôt en fonction de la place occupée par le groupe dans les contextes social, politique et juridique de notre société » Footnote 81.

Le contexte peut s’entendre des circonstances factuelles du litige particulier ou, plus largement, du contexte socialFootnote 82, se référant à des données considérées non juridiques afin de régler les questions de droit, « de phénomènes sociaux, de faits sociaux, de la description d’un état de fait ou encore de liens de causalité entre certains événements »Footnote 83. On se réfère à des statistiques, des études ou des rapports de comités avec des données empiriquement recueillies afin de saisir le « réel » Footnote 84. Les faits sociaux sont parfois associés à une connaissance d’officeFootnote 85, sans toutefois préciser dans quelles mesures les biais des décideurs peuvent jouer un rôle. Pinard considère que :

Il semble s’être produit à un moment donné, dans la jurisprudence, une rupture qui a fait en sorte que l’on a commencé à s’autoriser de la méthode contextuelle pour planter un décor empirique, un environnement factuel général visant à éclairer les questions de droit. Dans un souci marqué de réalisme, on a explicitement choisi de comprendre la règle de droit à la lumière du contexte factuel dans lequel elle s’insère, et qu’elle cherche parfois à modifier. On a continué à parler de la méthode contextuelle, et donc à bénéficier de la légitimité de plus en plus associée au concept, mais on lui a fait faire un bond en avant considérable en élargissant le champ couvert par ledit contexte.Footnote 86

Il apparaît donc que la pratique judiciaire n’obéit pas à des règles uniformisées et constantes dans sa détermination des contextes aux fins d’interprétation de la loiFootnote 87.

En vertu de la Charte¸ la discrimination est analysée en déterminant le contexte social général du groupe dominé identifié par rapport au groupe dominant correspondant. Ce dernier n’est pas qualifié selon le contexte de l’acte discriminatoire sous étude, mais constitue un groupe abstrait, objectivement déterminé et considéré comme reflétant le reste de la société en général. Pour chaque motif, l’oppresseur est prédéterminé sans déconstruire le rapport social menant à la discrimination réellement vécue. En effet, le rapport entre l’auteur du geste, de la directive ou de la politique qui crée la distinction interdite et la victime n’est pas un critère de détermination du sens de la norme, notamment afin d’éviter d’exiger la preuve d’une intention excluant les discriminations indirectes et systémiques. L’acte discriminatoire est déterminé selon la perspective de la personne victime et du lien entre le motif auquel elle est associée et la distinction réaliséeFootnote 88.

L’essentialisme dans la catégorisation des groupes par des motifs de discrimination crée une conception fixe des groupes, autant dans l’homogénéité des membres les constituant que dans les différences marquées par rapport aux autres groupes. Dans le cas d’un groupe situé à l’intersection de plusieurs motifs, cette conception essentialiste rend difficile la détermination de l’oppresseur correspondant et, conséquemment, le rapport social entre celui-ci et la victime. Cette conception n’embrasse pas la « réalité » sociale dans son ensemble. Au contraire, elle assume qu’une certaine « réalité » sociale existe du fait de l’association à un groupe prédéterminé. Elle présume ainsi que le contexte social de faits et de valeurs spécifique à la discrimination fondée sur un motif déterminé est fixe et en nie la dynamique particulière.

Si cette conception fixe et statique de la discrimination révèle les limites des interprétations contextuelles, l’intersectionnalité vise à dévoiler le contexte macrosocial dans toute sa complexité et sa simultanéité en postulant que les axes en intersection se co-constituent simultanément. Certains estiment qu’il est essentiel de considérer la position intersectionnelle autant de ceux qui sont avantagés que de ceux qui sont désavantagés par la dynamique socialeFootnote 89; d’autres rappellent qu’une position peut simultanément apporter des privilèges et des désavantagesFootnote 90. Il est certainement essentiel d’enrichir en ce sens et de complexifier l’analyse des motifs, dont ceux qui se situent aux intersections.

Pour tenir compte des « réalités » vécues, il faudrait discerner ce dynamisme perpétuel des positions individuelles au sein des structures sociales, en comprenant les motifs « comme des marqueurs d’inégalité et des effets de rapports de pouvoir, sans que ces motifs ne restreignent l’analyse par une définition objective préalable. »Footnote 91.

2.2 Déconstruire les dynamiques d’oppression

Bien que nous considérions qu’il y a plusieurs points d’ancrage pour une prise en compte de l’intersectionnalitéFootnote 92, nous nous en tenons ici à deux pistes de réflexion qui nous apparaissent pertinentes puisque les ouvertures qu’elles offrent sont sous‑étudiées dans la littérature relative à l’article 10 de la Charte. La première réside dans la compréhension de la discrimination systémique (1), la seconde, dans l’interprétation du motif de condition sociale (2).

1) La compréhension de la discrimination systémique

Le déplacement vers l’égalité réelle a permis aux tribunaux de reconnaître des discriminations indirectes et systémiquesFootnote 93, mais il reste un pas à faire dans la compréhension des systèmes d’oppression par le droit. Fo Niemi, directeur général du Centre de recherche-action sur les relations sociales, critiquait « l’approche traditionnelle et uniforme de traitement des plaintes de discriminations raciales par les commissions de droit de la personne », dénotant une résistance de la CDPDJ et du TDPQ à l’égard des discriminations systémiques et multidimensionnellesFootnote 94. Comme plusieurs autres intervenants des milieux sociaux, il préconise une approche systémique et intersectionnelle pour aborder le racismeFootnote 95. Il soumet que la faible utilisation de l’intersectionnalité résulte du rôle de la CDPDJ, en tant que partie demanderesse devant la majorité des cas présentés au TDPQ : soit elle n’invoque pas l’intersectionnalité, soit elle ne l’applique pas au traitement des plaintes en raison de l’absence de politique claire sur cette questionFootnote 96. Selon lui, cette omission au moment du traitement de la plainte par la CDPDJ entraîne une mauvaise compréhension des situations vécues et conséquemment, la même problématique devant les tribunauxFootnote 97. La CDPDJ pourrait suivre l’exemple de la Commission ontarienne des droits de la personne qui a publié un document devant guider l’adoption d’une approche intersectionnelle dans le traitement des plaintesFootnote 98. On peut d’ailleurs y voir une corrélation avec l’effervescence de l’intersectionnalité dans les décisions du Tribunal des droits de la personne de l’OntarioFootnote 99.

Une telle approche, que Vizkelety qualifie d’inclusive, permet :

d’examiner le fonctionnement du système, d’identifier les effets d’une culture organisationnelle qui, par son inaction, omettait d’intervenir pour mettre fin à la situation de discrimination ou de harcèlement en cours ou qui, à l’inverse, y contribuait activement en multipliant les problèmes et obstacles auxquels la victime était alors confrontée.Footnote 100

Cette analyse des systèmes peut prendre diverses formes.

Conformément à l’étude sociologique des stratifications, les catégorisations sont des construits sociaux permettant de théoriser les rapports sociaux : chaque catégorisation est issue de l’étude d’un système d’oppression particulier :

Class divisions are grounded in relation to economic processes of production and consumption; gender should be understood not as a « real » social difference between men and woman, but as a mode of discourse that relates to groups of subjects whose social roles are defined by their sexual/biological difference while sexuality is yet another related discourse, relating to constructions of the body, sexual pleasure and sexual intercourse. Ethnic and racial divisions relate to discourses of collectivities constructed around exclusionary/inclusionary boundaries that can be constructed as permeable and mutable to different extents and that divide people into “us” and “them”. […]”ability” or, rather, “disability” involves even vaguer and more heterogeneous discourses than those relating to ethnicity, as people can be “disabled” in so many different ways. However, they involve discourses of “normality” from which all disabled people are excluded. Footnote 101 [C’est nous qui surlignons.]

Collins met l’emphase sur la façon dont ces axes s’interconnectent au lieu d’insister sur les similarités et les différences entre les uns et les autres. Cette « matrice de domination » est un ensemble formé des systèmes d’oppression organisés sous quatre domaines de pouvoir : structurel, disciplinaire, hégémonique et interpersonnelFootnote 102. Tous les axes d’oppression interagissent simultanément pour produire des expériences de domination spécifiques à une situation sociale et à sa configuration relationnelle au sein d’un ensemble ou système structuréFootnote 103. Nous sommes d’avis que comprendre les interactions entre les axes implique nécessairement de considérer les systèmes desquels ils sont issus. Lorsqu’on se réfère à un croisement des catégories, cela implique une interaction entre les systèmes d’oppression y afférents. Ces intersections d’axes se co-constituent de façon simultanée, c’est-à-dire qu’elles interagissent en même temps et qu’il est impossible de les compartimenterFootnote 104.

Par conséquent, afin d’interpréter la norme, les tribunaux seraient appelés à se questionner sur ces aspects des systèmes de pouvoir. Une approche inclusive intersectionnelle assurerait ainsi que l’on dresse un portrait global des dynamiques d’oppression dans un contexte particulier. Elle éviterait les amalgames non‑fondés et raccourcis qui font correspondre la nature de la distinction à un motif prédéterminé sans réinterroger les dynamiques particulières et leur interaction. La réception de discrimination systémique serait élargie puisqu’une telle étude détermine les liens entre les éléments d’oppressions qui, par leur entrecroisement simultané, produisent un système inégalitaire. L’approche permettrait de comprendre le contexte macrosocial en théorisant par ailleurs les liens avec l’expérience vécue personnelle.

2) Une interprétation intersectionnelle du motif de condition sociale

La seconde piste propose d’élargir la réception par le droit des dynamiques sociales d’oppression en mobilisant une approche multidimensionnelle et intersectionnelle du motif de condition sociale. Le motif de condition sociale ayant suscité de nombreuses questions sur son interprétation, nous pensons que les difficultés liées à sa définition ont parfois nui à sa mobilisation adéquate.

La condition sociale, dans son sens le plus commun, se réfère à la « classe », en termes de groupe socio-économique. Historiquement, ce sont les théories marxistes, wébériennes et féministes qui ont surtout critiqué la naturalisation des hiérarchies sociales, étudiant le développement des relations de pouvoir et d’oppression à partir des catégories de classeFootnote 105. En ce sens, la « classe » n’existe qu’en raison des « relations de classe ». En tant que théorie des inégalités, l’intersectionnalité interroge également le concept de « classe ».

Joanne Conaghan s’est intéressée à l’étude du concept dans le discours intersectionnel. Elle estime que, outre son utilisation comme marqueur d’inégalités socio-économiques, la littérature intersectionnelle ne parvient pas à le mobiliser adéquatement lorsqu’elle se restreint à une analyse de l’identitéFootnote 106. En effet, le concept de « classe » doit être compris dans son aspect « relationnel » :

While identity analyses tend to highlight experiences of inequality and law’s characterisation of and response to those experiences, class discourse tends to focus on the structured processes and relations which produce and mediate experience. Footnote 107

Elle affirme que le droit étant ancré dans un « paradigme libéral individualiste »Footnote 108, il n’offre pas un terreau fertile pour ces réflexions, ce qui expliquerait ses difficultés à apporter une signification juridique pertinente au concept de « classe »Footnote 109.

En vertu de la norme québécoise, c’est le motif de « condition sociale » qui se rattache au concept de « classe ». De nombreux facteurs ont été associés à la condition sociale, considérée comme une « classe sociale » liée au système de production, notamment « la naissance, le niveau de scolarité, l’occupation, le revenu et le mode de vie qui les accompagne »Footnote 110. La plupart des décisions portant sur l’article 10 reproduisent ce raisonnement des décisions Gauthier Footnote 111 et Whittom Footnote 112, rendues en 1993, afin de définir le motif de « condition sociale ». Récemment, la plupart des cas de discrimination fondés sur la condition sociale reconnus par le TDP concernent les personnes bénéficiant de l’aide sociale ou les étudiants, principalement dans la conclusion d’actes juridiques tels que les baux de logementFootnote 113. Il n’y a pas eu de développements récents significatifs à l’égard de ce motif.

En 1981, Brun et Binette critiquaient déjà l’interprétation limitative du motif de « condition sociale », considérant que « la conception sociologique de la condition sociale ouvre la porte sur l’inconnu, et nos tribunaux sont bien réticents à en franchir le seuil »Footnote 114. Ils constataient que les plaintes de discrimination fondées sur la condition sociale n’étaient pas retenues en raison de l’ambigüité de l’expression, des règles d’interprétation empêchant « d’adapter l’application des lois à des considérations sociologiques » et d’une « certaine idéologie de la magistrature »Footnote 115.

Selon la Commission des droits de la personne, la condition sociale aurait dû s’interpréter comme correspondant à « l’ensemble des circonstances et des événements qui font qu’une personne occupe telle situation ou telle position dans la société »Footnote 116. Selon Brun et Binette, la Commission des droits de la personne aurait souhaité y voir « cette catégorie qui aurait permis au droit des libertés au Québec d’évoluer en toute souplesse »Footnote 117. Le TDP, dans l’affaire Gauthier, proposait une telle souplesse dans la considération des éléments liés à la « condition sociale » : « il faut cependant reconnaître le rôle variable, voire l’importance modulée que, dans chaque cas d’espèce, l’un ou l’autre de ces éléments sera ou non appelé à exercer, cette liste n’étant au surplus pas exhaustive »Footnote 118. Elle reconnaît le caractère variable et simultané de la « condition sociale » au contraire du motif immuable « d’origine sociale » se retrouvant dans d’autres instruments. Dans l’affaire Sinatra, le TDP avait aussi considéré nécessaire d’interpréter ce motif avec « suffisamment de souplesse en vue d’assurer la protection des gens défavorisés constituant des minorités discrètes et isolées » dont la qualification dépend des circonstances socialesFootnote 119. La définition devait tenir compte de la « dimension subjective [renvoyant] au statut des individus, soit à la valeur qu’on leur attribue en fonction des représentations sociales, des stéréotypes associés, notamment, à leur éducation, à leur occupation ou à leur revenu »Footnote 120. La difficulté de conception du motif semble ainsi se poser en raison du bémol posé par le TDP pour la détermination de ce contexte variable, impliquant l’intervention de divers facteursFootnote 121.

L’interprétation intersectionnelle du motif apparaît pourtant comme découlant de sa nature. La Commission ontarienne pour les droits de la personne reconnaît l’interaction avec les autres motifs :

La pauvreté recoupe souvent d’autres formes de désavantages expressément reconnus dans les lois sur les droits de la personne, comme la pauvreté et le sexe, la pauvreté et la race, la pauvreté et un handicap, pour ne donner que quelques exemples. Si elles ne prévoient pas de protection fondée sur la pauvreté, les lois relatives aux droits de la personne pourraient bien ne pas être en mesure d’aborder véritablement l’expérience complexe des personnes les plus défavorisées.Footnote 122

Le Code des droits de la personne de l’Ontario ne prévoit pas expressément la reconnaissance du croisement des motifs à l’instar de la Charte.

Ce croisement entre le premier motif de « condition sociale », établissant le contexte social, et d’autres motifs ou facteurs non énoncés dans la Charte, dans une perspective de reconnaissance de l’aspect multidimensionnel de l’expérience vécue, constituerait sans doute un élargissement de la réception juridique des dynamiques sociales. Cette conception assurerait une plus large compréhension de l’interaction simultanée des dynamiques, en plus de considérer la position de la victime dans un cas donné au sein de ces axes, et ce, sans les prédéterminer. Cette conception éviterait de figer l’expérience en permettant l’ajustement aux multiples contextes, ce qui se conformerait à l’exigence d’une interprétation large et généreuse de la Charte. Le sens de la norme antidiscriminatoire serait ainsi déterminé par une plus large réception en droit d’une « réalité sociale » complexe, irréductible, inclusive et simultanée.

Conclusion

Bien que l’intersectionnalité apparaisse comme un concept incontournable dans les discours militants sur les inégalités et les discriminations, ou dans la littérature juridique, l’approche n’est que peu mobilisée comme outil d’analyse de la discrimination au sens de l’article 10 de la Charte. Notre réflexion sur l’opportunité de mobiliser un cadre intersectionnel pour éclairer la norme antidiscriminatoire vise à offrir des pistes d’ouverture autant dans l’énonciation de la norme que dans son interprétation par les tribunaux. Nous estimons que les pistes proposées permettent de mieux déconstruire la réflexion derrière la détermination du sens de la norme antidiscriminatoire québécoise, d’en souligner certaines insuffisances et d’ainsi proposer une façon de dépasser ces dernières. Les éléments d’analyse du cadre intersectionnel fournissent un guide cohérent pour comprendre la « réalité » dans toute sa complexité, son irréductibilité et sa simultanéité, et ainsi assurer une plus grande réception de cette effectivité sociale par le droit. Les outils sont accessibles, la norme ouvre toutes les possibilités et points d’ancrage nécessaires à leur mobilisation, et les juristes et tribunaux ont déjà manifesté un intérêt envers ceux-ci. D’autres pistes restent à explorer : nous avons abordé des éléments relatifs à l’énonciation et à l’interprétation de la norme, mais le cadre peut être aussi pertinent pour éclairer sa mise en œuvre, notamment en ce qui concerne la réparation pour le préjudice subi et les mesures de promotion de l’égalité qui peuvent être ordonnées par les tribunauxFootnote 123.

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6 Crenshaw, « Demarginalizing ».

7 Crenshaw, Essential Writings.

8 Crenshaw, Kimberlé et Bonis, Oristelle, « Cartographies des marges : intersectionnalité, politique de l’identité et violences contre les femmes de couleur », Cahiers du Genre 39, nᵒ 2 (2005) : 54 CrossRefGoogle Scholar.

9 Ibid.

10 Alexandre Baril, La normativité corporelle sous le bistouri : (re)penser l’intersectionnalité et les solidarités entre les études féministes, trans et sur le handicap à travers la transsexualité et la transcapacité (PhD diss., Université d’Ottawa, 2013); Walby, Sylvia, « Complexity Theory, Systems Theory, and Multiple Intersecting Social Inequalities », Philosophy of the Social Sciences 37, no 4 (2007) : 449 CrossRefGoogle Scholar; Wilkinson, Lori, « Advancing a Perspective on the Intersections of Diversity: Challenges for Research and Social Policy », Canadian Ethnic Studies Journal 35, no 3 (2003) : 26 Google Scholar; Wendy A. Bach, « The Hyperregulatory State: Women, Race, Poverty and Support », Yale Journal of Law and Feminism 25, no 2 (2013) : 317; Brenda Gunn, « Self-Determination and Indigenous Women: Increasing Legitimacy through Inclusion », Canadian Journal of Women and the Law 26 (2014) : 241.

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12 Note 1.

13 Froc, Kerri, « Multidimensionality and the Matrix : Identifying Charter Violations in Cases of Complex Subordination », Revue canadienne Droit et Société 25, no 1 (2010) : 21 CrossRefGoogle Scholar; Darren L. Hutchinson, « Identity Crisis: “Intersectionality,” “Multidimensionality,” and the Development of an Adequate Theory of Subordination », Michigan Journal of Race & Law 6 (2000) : 285.

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16 Les fondements philosophiques et juridiques de la Charte québécoise s’inscrivent dans cette exigence d’effectivité des droits et libertés. Pour une discussion sur cette hypothèse d’une exigence d’effectivité inhérente au droit québécois à l’égalité, voir Tanguay.

17 Loi sur les droits de la personne, LNun 2003 C 12, art 7(5); Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H-6, art 3.1; Human Rights Act, SNL 2010, c H-131, art 9(4)(a); Code des droits de la personne, CPLM c H175, art 43; Loi sur les droits de la personne, LTN-O 2002, c 18, art 5(3).

18 Commission ontarienne des droits de la personne (CODP) : Approche intersectionnelle de la discrimination (2001), 33; Politique sur la prévention de la discrimination fondée sur les troubles mentaux et les dépendances (2015); Politique sur la prévention de la discrimination fondée sur l’identité sexuelle et l’expression de l’identité sexuelle (2014); Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) : Mémoire à l’Office de consultation publique de Montréal dans le cadre de la consultation publique sur le racisme et la discrimination systémique (2019), 16; Commentaires présentés au comité pour l’élimination de la discrimination raciale (2017); L’exploitation des personnes âgées et handicapées au sens de la Charte québécoise et la maltraitance selon la Loi visant à lutter contre la maltraitance envers les aînés et toute autre personne majeure en situation de vulnérabilité (2019).

19 Conseil des droits de l’Homme, Rapport de la Rapporteuse spéciale sur la violence contre les femmes, ses causes et ses conséquences, A/HRC/20/16/add4 (2012); Comité des droits de l’homme, Observation générale no 20 – La non discrimination dans l’exercice des droits économiques, sociaux et culturels (2009), 17; Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, recommandations générales no 25 (2004), no 28 (2010) et no 31 (2014) ainsi que les observations relatives aux femmes réfugiées, demanderesses d’asiles (2014), âgées (2010), migrantes (2008), en situation de handicap (1991); Convention relative aux droits de l’enfant, Observation générale no 11 – enfants autochtones (2009), Observation générale no 15 – Droit de l’enfant de jouir du meilleur état de santé possible (2013); Convention relative aux droits des personnes handicapées, art 6(1); Convention internationale sur l’élimination de toutes formes de discrimination raciale; Recommandation générale no 25 (2000); Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, Kell c Canada (2008), 18; Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH), Violence and discrimination against women and girls: Best practices and challenges in Latin America and the Caribbean (2019); CIDH, Report on Poverty and Human Rights in the Americas (2017); CIDH, Pandemic and Human Rights in the Americas, Resolution no 1/2020 (2020).

20 Nous entendons la pratique judiciaire comme incluant la jurisprudence et, de façon plus large, notamment, le contenu des demandes introduites par les organismes ou la CDPDJ et les orientations générales publiées par le Tribunal des droits de la personne.

21 CODP, Approche intersectionnelle, 18; Isabelle Boulanger, Il est minuit cinq pour les femmes autochtones du Canada : vers une analyse intersectionnelle des discriminations de genre et de race (Mémoire, UQAM, 2010), 30.

22 CODP, Approche intersectionnelle, 19.

23 Boulanger, Minuit cinq, 30; CODP, Approche intersectionnelle, 19.

24 Bilge et Roy, « Discrimination intersectionnelle », 62.

25 Ibid., 71.

26 CDPDJ c Syndicat des constables spéciaux, 2010 QCTDP 3, 216.

27 Ibid., 216-17.

28 CDPDJ c Ville de Montréal (SPVM), 2019 QCTDP 31, 181.

29 Ibid., 322.

30 Coopérative d’habitation l’Escale de Montréal c CDPDJ, 2010 QCCA 1791, 79.

31 CDPDJ (X) c Commission scolaire de Montréal, 2017 QCCA 286, 50.

32 Elizabeth Anderson, « Feminist Epistemology and Philosophy of Science », The Stanford Encyclopedia of Philosophy (2015), http://plato.stanford.edu/cgi-bin/encyclopedia/archinfo.cgi?entry=feminism-epistemology; Freeman, Jody, « Defining Family in Mossop v DSS : The Challenge of Anti-Essentialism and Interactive Discrimination for Human Rights Litigation » University of Toronto Law Journal 44 (1994) : 41.CrossRefGoogle Scholar

33 Gagnon, Muriel et Bosset, Pierre, « Le droit à l’égalité : des progrès remarquables, des inégalités persistantes », dans Après 25 ans, la Charte québécoise des droits et libertés (Montréal : CDPDJ, 2003), 66 Google Scholar; CDPDJ c Bombardier Inc., 2015 CSC 39, 52; CDPDJ c Montréal (Ville), 2000 CSC 27, 69.

34 Iyer, « Categorical Denials », 187.

35 Québec, Commission permanente de la justice, Journal des débats, 30e lég., 3e sess., no 153 (25 juin 1975), B-5016.

36 Ibid., B-5039.

37 Ibid., B-5016.

38 Québec, Assemblée nationale, Journal des débats, 32e lég., 3e sess., no 91 (1er décembre 1982), 6294.

39 Bliss c Procureur Général du Canada, [1979] 1 RCS 183.

40 Brooks c Canada Safeway Ltd, [1989] 1 RCS 1219.

41 Commission des droits de la personne c Lingerie Roxana ltée, [1995] 1995 CanLII 10774 (QC TDP).

42 Brooks c Canada Safeway Ltd, supra note 40.

43 Ibi..

44 Iyer, « Categorical Denials », 187.

45 CDPDJ c Maison des jeunes A, [1998] RJQ 2549 – 33 CHRR 263.

46 Sauvé, Jean-Sébastien, L’interdiction de discriminer les personnes trans* dans la Charte des droits et libertés de la personne, Enfances Familles Générations, no 23 (2015) : 108–26CrossRefGoogle Scholar.

47 Étude détaillée du projet de loi no 103, Loi visant à renforcer la lutte contre la transphobie et à améliorer notamment la situation des mineurs transgenres, Assemblée nationale du Québec, 41 lég., 1re sess., 9 juin 2016.

48 CDPDJ c Yazbeck, [2001] 2001 CanLII 16687 (QC TDP) au para 61.

49 Iyer, « Categorical Denials », 191.

50 Ceci est renforcé par le fait que la plupart des instruments de protection des droits de la personne, au Canada et à l’international, reprennent les mêmes motifs et des libellés similaires.

51 McCall, Leslie, « The Complexity of Intersectionality », Signs: Journal of Women in Culture and Society 30, no 3 (2005) : 1776 CrossRefGoogle Scholar.

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53 Walby, « Multiple Intersecting Social Inequalities », 452.

54 Crenshaw et Bonis, « Cartographies des marges », 53.

55 Ibid.

56 McCall, « Complexity of Intersectionality », 1773; Choo et Ferree, « Practicing Intersectionality », 133; Nash, « Re-Thinking Intersectionality », 5.

57 Note 17.

58 Code des droits de la personne, LRO 1990, c H-19; Baylis-Flannery v DeWilde, 2003 HRTO 28; Flamand v DNG Investments, 2005 HRTO 10; Arias v Desai, 2003 HRTO 1; Ontario Human Rights Commission v Motsewetsho, 2003 HRTO 21; B.C. Human Rights Act, SBC 1969, c 10; Radek v Henderson Development & Securiguard Services, 2005 BCHRT 302; McCue v The University of British Columbia, 2018 BCHRT 45; Fernandes v City University of Seattle in Canada and another, 2020 BCHRT 116.

59 CDPDJ c Montréal (Ville), [2000] 1 RCS 665 au para 76.

60 McCall, « Complexity of Intersectionality », 1773.

61 Choo et Ferree, « Practicing Intersectionality », 133.

62 Walby, « Multiple Intersecting Social Inequalities », 452.

63 Wilkinson, « Advancing a Perspective ».

64 Choo et Ferree, « Practicing Intersectionality », 133.

65 Ibid., 134.

66 Ibid.; Nash, « Re-Thinking Intersectionality », 6; Elizabeth Harper, Regards sur l’intersectionnalité (http://www.relais-femmes.qc.ca/files/CRI-VIFF-Regards_sur_intersectionnalite.pdf) 2012, 9.

67 Préambule, Charte québécoise.

68 Bilge et Roy, « Discrimination intersectionnelle », 61; CODP, Approche intersectionnelle, 18; Michel Coutu et Pierre Bosset, « La dynamique juridique de la Charte », dans Après 25 ans, supra, note 33, 254; Boivin, Michelle, « Le besoin urgent d’un nouveau cadre conceptuel en matière de droits à l’égalité », Cahiers de droit 45, no 2 (2004) : 62 Google Scholar.

69 Nous entendons par « réception judiciaire » de la norme antidiscriminatoire la façon dont les tribunaux construisent son sens par son énonciation, son interprétation et son application.

70 Andrews c Law Society of British Columbia, [1989] 1 RCS 143, 166; Eldridge c Colombie-Britannique (Procureur général), [1997] 3 RCS 624; R c Kapp, [2008] 2 RCS 483; Fraser c Canada, 2020 CSC 28, 42; Fay Faraday, Margaret Ann Denike et Kate Stephenson, Making Equality Rights Real: Securing Substantive Equality under the Charter (Toronto : Irwin Law, 2009), 73; Michèle Rivet et Anne-Marie Santorineos, « Juger à l’ère des droits fondamentaux », Revue de droit de l’Université de Sherbrooke 42 (2012) : 374; Bilge et Roy, « Discrimination intersectionnelle », 61; Boivin, « Nouveau cadre conceptuel », 62.

71 Commission ontarienne des droits de la personne c Simpsons-Sears, [1985] 2 RCS 536 au para 14; Mastropaolo c St-Jean-de-Matha, 2010 QCTDP 7 au para 127; Québec c Commission des droits de la personne, 1989 CanLII 613 (QC CA).

72 R c Kapp; Andrews c Law Society of British Columbia; Rivet et Santorineos, « Juger », 374.

73 Gagnon et Bosset, « Le droit à l’égalité », 62; Faraday, Making Equality Rights Real, 248.

74 Coutu et Bosset, « Dynamique juridique », 249.

75 Daniel Proulx, « Le droit à l’égalité : pierre angulaire de la Charte québécoise? » (2015) Revue québécoise du droit international (2015) : 61-80, 73.

76 Gagnon et Bosset, « Le droit à l’égalité », 68.

77 Michel Coutu et François Fournier, « Le Québec et le monde 1975-2000 : mutations et enjeux », dans Après 25 ans, supra note 33, 49.

78 Coutu et Bosset, « Dynamique juridique », 254.

79 Pinard, « Méthode contextuelle », 328; Egan c Canada, [1995] 2 RCS 513 au para 82; Andrews, 164.

80 Andrews.

81 Ibid.

82 Danielle Pinard, « La méthode contextuelle », La Revue du Barreau canadien 81 (2002) : 326; Rivet et Santorineos, « Juger », 386; Gaudreault-DesBiens, Jean-François et Labrèche, Diane, Le contexte social du droit dans le Québec contemporain : l’intelligence culturelle dans la pratique des juristes (Cowansville : Yvon Blais, 2009)Google Scholar.

83 Pinard, « Méthode contextuelle », 327.

84 Ibid.; R c Seaboyer; R c Gayme, [1991] 2 RCS 577; Young c Young, [1993] 4 RCS 3; Fraser, supra note 70, para 97-106.

85 Pinard, « Méthode contextuelle », 330, 366; Law c Canada, [1999] 1 RCS 497 au para 77; R c S (RD), [1997] 3 RCS 484 au para 46.

86 Pinard, 366.

87 Ibid., 358.

88 Forget c Québec, [1988] 2 RCS 90 au para 10; CDPDJ c Commission scolaire des Hauts-Bois-de-l’Outaouais, 2010 QCTDP 4 au para 136; Centre universitaire de santé McGill c Syndicat des employés de l’Hôpital général de Montréal, [2007] 1 RCS 161, 181; Commission scolaire régionale de Chambly c Bergevin, [1994] 2 RCS 525, 538; Ford c Québec, [1988] 2 RCS 712.

89 Yuval-Davis, Nira, « Intersectionality and Feminist Politics », European Journal of Women’s Studies 13, no 3 (2006) : 201 CrossRefGoogle Scholar.

90 Collins, Patricia Hill, « Social Inequality, Power, and Politics: Intersectionality and American Pragmatism in Dialogue », Journal of Speculative Philosophy 26, no 2 (2012) : 454 Google Scholar.

91 Bilge et Roy, « Discrimination intersectionnelle », 59.

92 Pour une analyse plus exhaustive, voir Tanguay.

93 Gaz métropolitain inc c CDPDJ, 2011 QCCA 1201.

94 Fo Niemi, « La justice québécoise et la discrimination raciale systémique : recul et résistance », dans Le tribunal des droits de la personne : 25 ans d’expérience en matière d’égalité, dir. Barreau du Québec et Service de la formation continue (Éditions Yvon Blais, 2015), 289.

95 De nombreux constats récents issus de diverses sources vont en ce sens. Rapport complémentaire de l’enquête nationale sur les femmes et filles autochtones disparues et assassinées. « Réclamer notre pouvoir et notre place » : https://www.mmiwg-ffada.ca/wp-content/uploads/2019/06/Rapport-compl%C3%A9mentaire_Qu%C3%A9bec.pdf; Consultation sur le racisme et la discrimination systémiques, document de consultation préparé par la Ville de Montréal pour l’Office de consultation publique de Montréal, 2019 : https://ocpm.qc.ca/sites/ocpm.qc.ca/files/pdf/P99/3.1_consultation_racisme_et_discrimination_fr_26-04-19_.pdf; Conseil québécois LGBT, Rapport sur le racisme systémique vécu par la communauté LGBTQ+ montréalaise, décembre 2017 : https://www.conseil-lgbt.ca/wp-content/uploads/2019/08/Rapport-entier-Racisme-systemique.pdf.

96 Niemi, « Justice québécoise », 301.

97 Ibid., 302.

98 CODP, Approche intersectionnelle.

99 Préambule, Charte québécoise.

100 Béatrice Vizkelety, « Les développements jurisprudentiels relatifs à l’“égalité réelle” en emploi : maintenant aux employeurs d’agir », dans Le tribunal des droits de la personne, Barreau du Québec, 73.

101 Yuval-Davis, « Intersectionality and Feminist Politics », 201.

102 Collins, « Social Inequality », 106.

103 Conaghan, Joanne, « Intersectionality and the feminist project in law », dans Intersectionality and Beyond: Law, Power and the Politics of Location, dir. Emily Grabham (Abingdon, Oxon : Routledge-Cavendish, 2009), 37 Google Scholar.

104 Ibid., 42.

105 Wright, Erik Olin, Approaches to Class Analysis (Cambridge : Cambridge University Press, 2005); Conaghan, « Feminist project », 31 CrossRefGoogle Scholar.

106 Conaghan, « Feminist project », 30.

107 Ibid.

108 [Notre traduction libre].

109 Conaghan, « Feminist project », 30.

110 Alberte Ledoyen, Lignes directrices sur la condition sociale, Commission des droits de la personne (1994), 4 : http://www.cdpdj.qc.ca/Publications/lignes_condition.pdf.

111 Commission des droits de la personne c Gauthier, 1993 CanLII 8751 (QC TDP).

112 Commission des droits de la personne c Whittom, 1993 CanLII 10 (QC TDP).

113 CDPDJ c Brodeur-Charron, 2014 QCTDP 10; CDPDJ c Fondation Abbé Charles-Émile Gadbois, 2001 CanLII 9093 (QCTDP); CDPDJ c Lauréat Richard inc, 2001 CanLII 17869 (QCTDP); CDPDJ c Huong, 2005 CanLII 5526 (QC TDP).

114 Brun, Henri et Binette, André, « L’interprétation judiciaire de la condition sociale, motif de discrimination prohibé par la Charte des droits du Québec », Cahiers de Droit 22, no 3–4 (1981) : 686 Google Scholar.

115 Ibid., 687.

116 Renée Lescop, La condition sociale, Cahiers de la Commission des droits de la personne du Québec 2, no 1 (1980) : 106.

117 Brun et Binette, « Condition sociale », 693.

118 Gauthier, supra note 111.

119 CDPDJ c Sinatra, 1999, AZ-50067859, au para 45.

120 Ibid., au para 44.

121 Gauthier, supra note 111.

122 CODP, Les commissions des droits de la personne et les droits économiques et sociaux, http://www.ohrc.on.ca/fr/les-commissions-des-droits-de-la-personne-et-les-droits-%C3%A9comomiques-et-sociaux.

123 Tanguay.